Le raid meurtrier de l’armée israélienne sur Gaza

(de juillet-août 2014)

 Textes écrits les 3, 4 et août et le 22 septembre 2014

Les Remarques qui suivent ont été écrites après ma participation à l’élaboration de la pétition suivante lancée le 21 juillet 2014  à l’adresse suivante :

https://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/isra%C3%ABl-nous-vous-accusons-fran%C3%A7ois-hollande-nous-vous-accusons

PÉTITION (21 juillet 2014)

Nous accusons l’État d’Israël de perpétrer un massacre à Gaza. La disproportion du rapport des forces et des pertes humaines dément les prétextes invoqués pour maintenir un blocus meurtrier et mener une énième opération de terreur, destinés à faire renoncer les Palestiniens à leurs droits nationaux inaliénables et à les pousser à l’exode.

Nous accusons les autorités françaises, qui se targuent de valeurs universelles, de vouloir fallacieusement faire passer notre protestation au nom des droits humains, pour l’importation d’un conflit étranger dans notre pays, alors qu’elles justifient la logique coloniale d’Israël, et la ravaler à des réactions de type religieux et communautaire qui renvoient la cause palestinienne à un antisémitisme étranger à sa nature.

Premiers signataires : Ahmed ABBES, Directeur de Recherche au CNRS ; Saad AL MASSOUDI, Journaliste ; Paul BALTA, Écrivain et ancien journaliste ; Sonia DAYAN-HERZBRUN, Professeur émérite à  l’’Université Paris 7 ; Jasmine DESCLAUX-SALACHAS, Cartographe ; Joss DRAY, Photographe, auteure ; Sivan HALÉVY, Animateur social ; Sari HANAFI, Professeur des universités ; Kadhim JIHAD HASSAN, Écrivain, professeur des universités à Paris ; Jean-Louis HEUDIER, Astronome ; Fayçal JALLOUL, Ecrivain, journaliste ; Roland LAFFITTE, Essayiste ;  Barbara LOREY de LACHARRIERE, Journaliste ; Francois LADREIT de LACHARRIÈRE, Consultant ; Sandrine MANSOUR-MERIEN, Historienne ; Christophe OBERLIN, Professeur de médecine ; Alain RUSCIO, Historien ; Kamila SEFTA, Universitaire ; Arnaud SÉRANDOUR, Maître de conférences ; Nasser SOUMI, Artiste plasticien, Philippe TANCELIN, Poète,  professeur des universités ; Issa WACHILL, Ecrivain, poète ; Mohammad H. YAKOUB, Sociologue ; Annick ZENNAKI, Professeur agrégé.

PREMIÈRE REMARQUE (3 août 2014)

Cher(e)s ami(e)s,

Étant un des auteurs de pétition intitulée « Nous accusons ! » lancée sur la toile le 21 juillet dernier, je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui l’ont signée et qui ont contribué à la faire circuler.

Au moment où près de quatre semaines de raid israélien ont fait près de 1.800 morts, plus de 8.000 blessés et plus de 250.000 déplacés dans une population qui ne dispose pratiquement plus ni d’eau ni de nourriture ni de médicaments et de soins, permettez-vous de faire quelques remarques, dont voici la première.

Le plus scandaleux

Le plus scandaleux n’est pas que l’État d’Israël s’indigne du fait d’une de ses soldats ait pu être capturé par un détachement armé palestinien et qu’il parle d’« enlèvement » au moment même où le journal Haaretz indique qu’« un nombre indéterminé » de Palestiniens de Gaza ont été fait « prisonniers » pendant l’attaque, sans que les autorités militaires israéliennes ne se sentent obligées de rendre des comptes. Cela ne fait que traduire l’état d’esprit d’une puissance occupante qui considère sa lutte comme légitime et la résistance à son ordre colonial comme « terroriste » et « illégitime ». Il n’est pas la peine de faire, dans notre histoire nationale, des parallèles historiques pour saisir le bienfondé de cette remarque.

Que des bonnes âmes réclament sa libération afin de faciliter un cessez-le-feu pourrait semble tout à fait raisonnable. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. À l’instar du président des États-Unis et même le secrétaire général de l’ONU, notre gouvernement s’est empressé de réclamer haut et fort la libération de ce soldat, dont la preuve de la capture n’est d’ailleurs nullement établie pour des raisons de principe. Et cela sans dire un mot en faveur de la libération Palestiniens faits prisonniers au cours du raid meurtrier de Gaza, ni des centaines de Palestiniens arrêtés en Cisjordanie depuis un mois, au nombre desquels des dizaines de parlementaires. Ce qui es scandaleux, c’est que tout ce monde avalise ainsi la politique coloniale de l’État d’Israël, piétinant ainsi les décisions de l’ONU qui considèrent l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza – car Gaza est bien une prison à ciel ouvert enclavée sous la domination de l’Etat d’Israël ‒ comme illégitimes du point de vue du droit international qu’ils ont eux-mêmes élaboré et dont ils réclament à cor et à cri l’application en d’autres situations. Ce qui est le plus scandaleux, c’est qu’à l’unisson avec nos gouvernants, nos chaînes publiques ressassent sans discontinuer ce discours sur l’« enlèvement » et la « barbarie » du Hamas qui n’est pas sans rappeler la propagande qui sévissait lors de la guerre d’Algérie conte le FLN et les fameuses bombes d’Alger qui, soit dit en passant, avaient fait bien davantage de victimes que les roquettes des groupes armés gazaouis n’ont fait à ce jour.

Roland Laffitte. Pantin, le 3 août 20104.


SECONDE REMARQUE
 (4 août 2014)

Cher(e)s ami(e)s,

À PROPOS DES ÉCOLES BOMBARDÉES

La population de Gaza paie un lourd tribut à la furie meurtrière de l’armée israélienne qui provoque chaque jour des pertes irréparables. Hier, à Rafah, c’est au moins la septième école visée par les obus et les bombes parmi les 85 établissements scolaires transformés en centres d’accueil théoriquement « inviolables » selon le droit international. Ce bombardement a fait 10 nouveaux morts parmi les 3.000 personnes qui avaient cru pourvoir y trouver refuge depuis le début du raid israélien le 8 juillet dernier.

L’argument selon lequel le Hamas utilise les populations civiles comme « boucliers humains » pour justifier ces actions criminelles est proprement scandaleux. La puissance occupante cherche en l’avançant à se soustraire à l’obligation qui lui est faite par le droit humanitaire « de garantir la protection de la population civile palestinienne et de s’assurer que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits », qui permettrait à un tribunal international de qualifier nombre d’actes de guerre menés par Israël à Gaza de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La vérité est que les écoles qui servent de centre d’accueil de l’UNWRA ne constituent que le quart du nombre total d’écoles de Gaza. Le mensonge repose sur l’amalgame fait entre toutes ces écoles, comme si celles qui servent de refuge pouvaient servir de lieux de stockage de munitions et d’installation de mortiers et de rampes de lancement de roquettes.

Quant au dernier argument servi à l’opinion internationale les conseillers en communication de l’état-major de l’armée d’occupation, il fait sombrer cette dernière dans un ridicule sinistre : les tirs auraient visé trois combattants qui circulaient à motocyclette à proximité de l’école de Rafah…

Encore une fois, les bombardements des écoles et des mosquées-refuges ainsi que des hôpitaux comme de quartiers entiers dont la télévision nous donne « avec retenue » les images désolantes, sont bien des bombardements de terreur. Ils visent à persuader les habitants de Gaza qu’ils ne peuvent escompter aucune sécurité dans les zones de leur territoire que la puissance occupante a décidé de transformer en no man’s land lui servant de glacis protecteur. Quant aux autres bombardements, opérés sur les centres des agglomérations au cours de campagnes militaires périodiques intensives, ils voudraient pousser les populations gazaouies à prendre le chemin de l’exil.

Croire que la terreur exercée depuis quatre semaines contre la population de Gaza va la conduire à venir supplier à genoux les autorités israéliennes de vouloir bien améliorer son sort et de lui livrer ses responsables la corde au cou comme les bourgeois de Calais, est une erreur grossière. Cela ne fait qu’accroître encore le besoin de résister dans des franges toujours plus larges de la population, parfois même à n’importe quel prix.

Roland Laffitte. Pantin, l 3 août 20104.

 

TROISIÈME REMARQUE (4 août 2014)

DES COMMÉRATIONS DE LA GRANDE GUERRE ET DE LA PALESTINE

En commémorant hier l’entrée en guerre de la France et de l’Allemagne le 3 août 1914, notre président et son homologue allemand ont déclaré que nos aïeux n’auraient jamais imaginé que la France et l’Allemagne connaîtraient un jour l’apaisement de leurs relations qu’elles vivent aujourd’hui.

Au moment où François Hollande en fait des tonnes sur Jean Jaurès, c’est oublier que celui que l’on encense aujourd’hui de tous bords a été assassiné le 31 juillet 1914 non de façon fortuite, mais pour avoir combattu la guerre en harmonie avec des frères allemands qui voulaient l’amitié des peuples par-dessus les frontières. Dans un film de 1986, Elisabeth von Trotta présentait Rosa Luxemburg applaudissant au discours contre la guerre de Jaurès devant l’Internationale socialiste. Mais François Hollande n’a pas dû aller voir un film qui traite de préoccupations étrangères à son univers.

Dans son discours du 14 Juillet, pensant honorer les 1.700.000 soldats tombés de ce côté du front, ce même François Hollande avait affirmé qu’ils avaient « défendu nos valeurs », ces valeurs mêmes « pour lesquelles nous luttons précisément aujourd’hui ». Que l’on pardonne mes imprécisions, je parle de mémoire, mais ne pense pas avoir trahi sa pensée. Cela signifie qu’il n’y a pas à revenir sur les causes de la guerre, sur les responsabilités de la France. Gageons qu’au nombre comparable de soldats qui se battaient de l’autre côté du front, on leur a aussi servi « nos valeurs communes », dites « universelles ».

La vérité fut dite au sortir de la Grande guerre par Anatole France : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ». C’est que, dans le but de conserver ou agrandir leur part de la domination du monde, les grandes puissances européennes se sont disputées en entraînant les peuples des cinq continents dans une boucherie qui a fait près de 30 millions de morts.

La vérité est aussi que, des deux côtés du front, des pauvres types sont morts ou ont été mutilés pour les mêmes « valeurs universelles » défendues par des gens courageux comme Jaurès ou Luxemburg, mais pour des intérêts minables et meurtriers. Que signifie une amitié entre la France et l’Allemagne fondée sur l’amitié entre les « industriels » des deux côtés, chaque État restant convaincu qu’il faisait une « guerre juste », mais mu par des intérêts qui ne sont pas ceux des peuples qui seuls ont intérêt à élaborer entre eux et pour eux des « valeurs universelles ».

Des griefs et querelles funestes entre la France et l’Allemagne

Dans ce même numéro de funambule, François Hollande, toujours lui, a aussi cru bon de donner au monde en exemple la « réconciliation franco-allemande ». Je viens de dire les limites de cette « amitié » affichée, qui n’est pas vraiment l’amitié dont les peuples ont besoin. Mais ne gâchons pas notre plaisir de voir, au moins formellement, réaliser le souhait d’association des grandes nations d’Europe qu’émettait de Saint-Simon il y a deux siècles. La paix entre les deux pays est en effet utile et indispensable. Il était temps de mettre fin à des siècles de conflits répétés.

Ne remontons pas à la Guerre de Trente ans où les armées française et suédoise ont ravagé le Palatinat dont les écoliers français avaient naguère une idée par les gravures de Jacques Callot données dans les livres d’histoire. Je ne sais si cette excellente leçon de choses est toujours dispensée. L’hybris guerrière de ces deux puissances de l’Europe d’alors eut au moins un mérite de pousser à la réflexion sur le droit de la guerre et, de Grotius via Montesquieu jusqu’à Kant, de dessiner les grandes lignes d’un projet de droit international fondé sur le principe de réciprocité entre les peuples et l’idée de ne jamais compromettre l’avenir en créant chez l’adversaire, voire le vaincu du jour, des ressentiments poussant à la vengeance.

Bien des Allemands, comme Kant et Hegel ont applaudi aux troupes françaises entrant en Allemagne et libérant son peuple du joug de dynasties tyranniques et surannées. Mais les généraux français n’ont pas pu s’empêcher de traiter nos voisins comme des soudards qu’ils étaient, soulevant l’indignation nationale justifiée. Que l’on pense à Beethoven qui, voyant Bonaparte se faire Napoléon, effaça rageusement la dédicace d’un concerto qu’il avait pensé lui adresser.

Il est vrai que la France a longtemps revendiqué la rive gauche du Rhin. Vous savez tous que nos voisins allemands et, plus généralement, tous nos voisins européens, nous ont emprunté un mot : chauvinisme, pour qualifier entre autres cette position terriblement cocardière, arrogante et va-t-en-guerre. Réciproquement, Bismark, contraint à réaliser l’unité allemande par une guerre contre la France de Napoléon III, n’a pas trouvé mieux que d’annexer l’Alsace et la Lorraine, et de faire payer à la France une rançon de cinq milliards de franc or, attisant dans notre pays l’esprit de revanche que combattit à l’époque une partie du mouvement socialiste, avant de capituler, il est vrai, au son des sirènes martiales sous couleur d’« union nationale ». On connaît la position des vainqueurs de la Grande guerre : « l’Allemagne paiera ! ». Et comme l’argent des « réparations » exorbitantes ne venait pas, on résolut de se payer sur la bête en occupant la Ruhr en 1923, poussant les ouvriers eux-mêmes à tendre l’oreille aux slogans du nazisme naissant, lequel centrait sa propagande sur une revendication justement ressentie, la fin du traité de Versailles, inique et vexatoire. On connaît la suite. La Deuxième Guerre mondiale a fait mieux que la Première, puisqu’elle a entraîné la planète entière dans un conflit accompagné d’exterminations massives qui a fait, selon les estimations, entre 60 à 80 millions de morts. Il n’est pas beaucoup d’historiens aujourd’hui qui ne considèrent la Seconde guerre mondiale comme la continuation de la Première.

Le désastre de l’Europe, son effondrement politique, sa mise en couple réglée à l’Est par l’Empire russe et sa vassalité à l’Ouest vis-à-vis de l’Empire étatsunien, ne pouvaient pas ne pas faire naître, notamment en France comme en Allemagne, l’idée de mettre fin à deux siècles de conflits répétés.

De la lutte palestinienne

Mettant en valeur la « réconciliation franco-allemande », François Hollande ne s’est pas contenté de constater que des peuples qui se sont longtemps battu pouvaient un jour s’entendre. Cela n’est pas discutable. Il a surtout cru bon de profiter de l’occasion pour s’adresser aux Palestiniens et aux Israéliens en les invitant à en prendre de la graine. Outre la fatuité que révèle cette attitude et le fait qu’elle cache le parti pris radicalement pro-israélien assumé par les autorités françaises à un degré jamais atteint par les gouvernements précédents, elle montre une méconnaissance totale de la situation. Les rapports entre Palestiniens et Israéliens n’ont rien à voir avec ceux qui ont existé dans l’histoire entre Allemands et Français.

Si à divers moments de l’histoire, ces derniers ont en effet, les uns comme les autres, cru pouvoir s’emparer, impunément et sans conséquence pour l’avenir, d’une partie du territoire de leurs voisins ou le découper en plusieurs morceaux, ni les uns ni les autres n’ont tenté à un moment ou à un autre de chasser les occupants des lieux pour s’installer à leur place. Il est clair que le rapport entre Palestiniens et Israéliens est tout autre.

Nous avons d’un côté une population animée par le mouvement sioniste qui, voulant échapper à des persécutions inadmissibles des Juifs en Europe, a hélas surfé sur la vague de conquêtes coloniales européennes. Une masse de gens a cru pouvoir, impunément et sans conséquence pour l’avenir, entrer sur un territoire, la fameuse « Terre sans peuple pour un peuple sans terre » dont les sionistes ont fait leur slogan, en chasser en réalité une partie de ses habitants pour s’y installer et mettre à sa place des populations de colons étrangers. Ce flux d’immigrants s’est gravement accentué avec la Seconde guerre mondiale et la catastrophe de la shoah, au moment même où s’élançait la vague de libération des peuples colonisés par les vieux empires européens. Un tel mouvement de peuplement fondé sur le refoulement des populations autochtones n’est pas terminé : chaque jour, de nouvelles colonies s’installent en Cisjordanie. Quant à Gaza, il faut être aveugle pour ne pas voir que l’État d’Israël ne s’en est pas retiré et qu’il maintient, dans une prison qui constitue une sorte d’enclave en son sein, sa population interdite de tout mouvement et opprimée par un blocus inhumain en dépit du droit international. Or le no man’s que l’armée israélienne vient de créer sur ce territoire réduit le territoire palestinien de 40%. À Gaza comme en Cisjordanie, l’espace dévolu aux Palestiniens sur leur propre Terre est grignoté chaque jour que le soleil se lève et se couche, bien que de manière différente.

Nous avons de l’autre côté une population de près de 13 millions d’âmes. Plus de la moitié, soit 7 millions vivent dans l’exil et dont la plupart du temps citoyens de seconde zone, comme c’est le cas en Jordanie où sont constituent la majorité de la population, ou sans aucun droit dans les autres pays dit d’« accueil ». Les 6 autres millions sont restés en Palestine, répartis comme suit : 2,7 millions en Cisjordanie, 1,8 à Gaza et, sous administration directe israélienne, 1,7 en Israël et 200.000 à Jérusalem-Est. Que toute résistance de ce peuple soit considérée comme « terroriste », tant dans la partie de la Palestine sur laquelle l’ONU qui a reconnu l’État d’Israël en 1948, que dans les territoires occupés depuis 1967 n’est pas pour surprendre. C’est l’attitude commune de toute puissance occupante.

… et de la lutte d’indépendance algérienne

S’il faut comparer la situation des Palestiniens d’aujourd’hui à celle d’un autre peuple, c’est à celui du peuple algérien sous la botte coloniale française. Qui regarde l’argumentation sécuritaire des sionistes à celle des Français d’hier, sera étonné de la ressemblance. L’« excellent » Tocqueville, dont on vante aujourd’hui la perspicacité et le sens de la mesure, n’affirmait-il pas, au début des années 1840, que pour protéger les établissements français sur la côte, qui ne comptaient même pas alors 100.000 hommes, il fallait contrôler tout le pays, soit une population de 3 millions d’habitants ? Et qui considère le grignotage territorial israélien, ne peut pas ne pas voir qu’il s’opère comme celui des Français entre 1830 et 1880, pour éviter de parler du Sahara, cela par tours de vis successifs, selon la technique du garrot.

La résistance algérienne eut toutefois des chances qui manquent aujourd’hui à la résistance palestinienne.

La première chance est qu’en dépit de leurs projets de peuplement, la France n’a pas trouvé les candidats à la colonisation, et cela même en tentant de naturaliser des pauvres diables venus d’autres contrées méditerranéennes. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts des gouvernements, comme le leur reprochait à tort Proudhon, lui qui se demandait dans les années 1860 pourquoi on n’avait pas encore installé 2 millions de concitoyens dans le Nord du pays. De fait, le nombre de colons n’atteignait que 300.000 en 1880, et n’a jamais dépassé le dixième de la population algérienne. Cela n’est pas non plus faute des tentatives des colons appelant pour les uns au « refoulement des indigènes », les autres à leur « extermination », ni fautes d’exactions encouragées par un Code de l’indigénat révoltant ravalant les Algériens à une population d’ilotes. La disproportion est terriblement défavorable aux 6 millions de Palestiniens restés en Palestine et qui ont vu s’installer un nombre comparable de colons.

Une seconde chance qu’ont eue les Algériens par rapport aux Palestiniens consiste dans les aides et les appuis qu’ils ont pu recevoir de l’intérieur des grandes puissances impérialistes. Ils ont pu recevoir une aide indirecte dues aux disputes et rivalités entre les impérialismes, et même parfois des attitudes bienveillantes. Se souvient-on du 2 juillet 1957, quand le sénateur Kennedy montait à la tribune du Sénat des États-Unis pour y prononcer un discours condamnant la politique coloniale française ? En revanche les déclarations de responsables en faveur de la Résistance palestinienne sont rares. Le plus grave est la solidarité que reçoit Israël de la part des grandes puissances, notamment d’Europe et d’Amérique du Nord, pour sa politique oppressive, et cela malgré les condamnations répétées par des résolutions de l’ONU, dont vous m’épargnerez la liste. Un tel appui ne repose pas seulement sur l’intérêt stratégique que représente ce petit État dans la région pour les États-Unis et l’Europe. Il repose sur la culpabilité de ces pays au sein desquels est né un racisme poussé jusqu’à la tentative d’anéantissement de populations stigmatisées comme juives.

Malgré les réactions qui, dans nos pays, refusent de justifier l’oppression des Palestiniens par les souffrances atroces qu’ont subies les Juifs en Europe, notre gouvernement et l’Union européenne cautionnent une oppression de nature coloniale, tout comme les États-Unis et la Russie. Le deux poids deux mesures qui illustre cette attitude, le nombre impressionnants de résolutions de l’ONU non suivies d’effets est là pour réduire le droit international à une formule creuse tant qu’il reste aux mains de ces puissances. C’est cette injustice radicale faite à un peuple qui donne au conflit qui l’oppose au sionisme et à Israël une dimension symbolique considérable qui dépasse les enjeux locaux et qui surdétermine tous ceux qui opposent les pays de la région et les grandes puissances.

Les initiatives concrètes prises ici par les uns et les autres pour la Palestine : pétitions, manifestations, protestations contre les autorités françaises et européennes qui prétendent parler en notre nom sont utiles. Elles sont toutefois peu de choses en regard de l’appui que nos concitoyens, peu nombreux mais efficaces, donnèrent courageusement à la lutte de nos frères algériens sous le titre de « porteurs de valises ».

Une troisième chance qu’ont eue les Algériens est le soutien des pays arabes qui manque cruellement aux Palestiniens. Si leur résistance suscite, de la part des populations de ces pays, un mouvement de sympathie indéniable qui peut se comparer à celui qui se porta sur la Résistance algérienne, elle rencontre en général dans les gouvernements arabes non des réactions amicales mais des réactions hostiles. Pensons à la différence entre la position de la Jordanie vis-à-vis de la résistance par rapport à celle de la Tunisie et du Maroc vis-à-vis de la lutte algérienne. Pensons encore à l’attitude du colonel Nasser vis-à-vis du FLN et celle du maréchal al-Sisi vis-à-vis de la population de Gaza, lui qui se comporte en maton de la prison à ciel ouvert construite par les Israéliens. Pensons enfin à l’hypocrite et dérisoire « minute de silence » décrétée les autorités algériennes pour les populations de Gaza, quand le mutisme politique qu’elles pratiquent depuis quatre semaines ne peut que soulever l’indignation. Il n’est même pas besoin de commenter l’attitude des pétromonarchies qui ont encouragé en coulisse le raid militaire israélien.

Pour conclure

Aucune solution heureuse ne se dessine aujourd’hui en Palestine et personne ne peut dire où nous en serons demain, quelle configuration l’avenir donnera à ce petit coin de terre. Ce qui est sûr c’est que le chemin de croix du peuple palestinien est loin d’être terminé. Dans ce qui est dans notre pouvoir d’agir ici, l’important est de ne pas se laisser enfermer dans l’idée d’un « conflit israélo-palestinien » qui présente, dans le meilleur cas de figure, le mouvement sioniste et la Résistance palestinienne comme deux mouvements nationaux à renvoyer dos à dos. Nous pouvons encore moins nous laisser enfermer dans la réduction de la lutte palestinienne – et même celle du Hamas ‒ à une réaction religieuse, et pis encore, la solidarité à la Résistance palestinienne à une expression communautariste. La lutte du peuple palestinien ne mérite pas seulement de notre part solidarité, c’est une lutte d’hommes et de femmes qui exige de nous de défendre avec eux notre humanité.

Roland Laffitte. Pantin, l 3 août 20104.

QUATRIÈME REMARQUE (22 septembre 2014)

Cher(e)s ami(e)s,

Après un mois et demi de silence et à la veille des discussions du Caire dont le début est théoriquement fixé au 24 septembre prochain, je reprends le clavier pour une quatrième REMARQUE sur le raid sanglant de l’armée israélienne sur Gaza.

Un cessez-le-feu « illimité » a donc été conclu au Caire après 50 jours de tirs par terre, mer et air qui ont fait 2150 morts palestiniens et 11.250 blessés et une nombre indéterminée de prisonniers à Gaza, sans compter les 9 personnes tuées et les 400 personnes arrêtées en Cisjordanie. Plus de 60.000 sont sans abri du fait que 10.000 logements sont détruits et autant endommagés. La vie sociale est totalement désorganisée du fait de la destruction de nombreuses infrastructures sociales (administrations, mosquées, hôpitaux et centres de soins, écoles, etc.), ou économiques (usines, centrales électriques, puits, moyens de transport, etc.).

Ce qu’ont obtenu les habitants de Gaza tient en ceci, hormis la cessation toute provisoire des bombardements :

* zone de pêche » passant de 6 à 12 milles marins – elle était de 20 lors des accords d’Oslo.

* allégement du blocus par le passage au compte-goutte des « produits humanitaires » et de matériaux de construction, au poste-frontière d’Erez sous le contrôle de l’armée israélienne, à Rafah sous celui de l’Autorité palestinienne et de l’armée égyptienne : vu les sentiments du gouvernement égyptien pour le Hamas, on peut être sûr que le contrôle sera draconien.

* perspective de discussions, supposées reprendre après-demain, sur deux points principaux concernant Gaza. Le premier est l’élargissement des 5.000 prisonniers palestiniens dont les 60 déjà libérés contre le soldat Shalit et remis en prison par rétorsion contre l’assassinat des trois jeunes Israéliens près de Khalil / Hébron – dont on en sait toujours pas qui les a tués. Le second est la levée du blocus massacrant qui dure depuis 7 ans et qui suppose la construction d’un port et de l’aéroport détruit lors d’un raid précédent, infrastructures que ni l’Etat israélien ni ses appuis étasuniens et européens ne sont disposés à permettre. Bien sûr, les Palestiniens voudraient bien que ces discussions ne soient pas limitées à Gaza comme le voudraient les Israéliens, mais que soit posé la question de la fin de l’occupation sioniste en Cisjordanie comme à Gaza. Mais qui, dans les circonstances actuelles, pourrait empêcher le blocage absolu d’Israël ?

Il est douloureux de constater le caractère dérisoire des résultats obtenus pour ne pas dire « des nèfles ! ». Et cela d’autant qu’est connu le caractère fallacieux des promesses de discussion qui, sauf changement radical de la situation, ne mèneront, aux dires des commentateurs de tous bords, qu’à de minimes reculs israéliens, si reculs il y a. Les sacrifices consentis par la population de Gaza en tenant tête pendant 50 jours aux attaques de terreur de l’armée israélienne ne sont pourtant pas vains. Ils sont à la mesure de la barbarie de l’occupant, et prouvent le refus courageux de s’y soumettre. Ils sont le terrible prix à payer pour rester debout.

À moins d’un cataclysme qui modifie le rapport des forces dans la région et brise la complaisance, pour ne pas dire l’appui total, des grandes puissances d’Europe, Russie comprise, et d’Amérique du Nord à l’emprise coloniale du sionisme su la Palestine, la situation reste, au terme de la dernière algarade israélienne en date, fondamentalement inchangée des deux côtés :

* L’armée israélienne a frappé massivement à plusieurs reprises depuis le prétendu « désengagement » de Gaza en 2005. Elle prend prétexte du contrôle des institutions du territoire par le Hamas pour enfermer la population de cette « bande » ‒ dont la superficie dépasse à peine la moitié de celle du Territoire de Belfort ‒, de façon quasi-hermétique. Elle la confine dans une véritable prison à ciel ouvert et la soumet depuis 2007 à un blocus criminel qui la met à sa merci dans tous les domaines de la vie, voire de la survie : eau, électricité, nourriture, matériaux de construction, soins, règlements financiers, etc. Le dernier raid a été précédé par celui de décembre 2008-janvier 2009, baptisé « Plomb durci », puis celui de 2012, appelé « Colonne de nuée », avec leurs cortèges d’assassinats massifs des populations non-combattantes. Appelé « Bordure protectrice », le dernier est seulement le plus meurtrier. Sur les 68 Israéliens tués, 62 l’ont été pendant les combats sur le territoire de Gaza. Les milliers de roquettes lancés de Gaza ont fait 6 malheureuses victimes dont un enfant, quand l’ONU compte plus de 1700 « civils » ‒ c’est-à-dire non-combattants ‒, palestiniens dont 565 enfants. Ce rapport de plus de 500 à 1 rend injurieuse à l’égard des Palestiniens et d’un ridicule tragique l’antienne victimaire de la propagande sioniste. Il ne donne nullement l’idée de représailles ou de vengeance, actes que l’on pourrait d’ailleurs aussi bien justifier du côté palestinien pour chaque bombardement ‒ réalise-t-on seulement l’énorme différence entre d’impact d’une roquette palestinienne et celle d’un obus israélien ? ‒ ou chaque « exécution extrajudiciaire », c’est-à-dire chaque meurtre cyniquement revendiqué comme « assassinat ciblé ». Au vrai, les raids israéliens ne dépendent pas tant du niveau d’activité de la Résistance palestinienne que du besoin interne de l’État sioniste de faire régner la terreur sur la population pour la punir de l’idée même de résistance, vue comme injure au colonisateur. C’est dans cette politique de terreur, qui l’intérêt, aussi grand qu’impudent, de pousser la société israélienne à resserrer les rangs devant les réactions palestiniennes inévitables et de la rassurer sans avoir à discuter de leur bon droit, que gît le secret des raids périodiques massacrants. Combien de temps faudra-t-il pour que l’État israélien exhibe un nouveau prétexte pour une nouvelle tuerie ?

* Les réactions palestiniennes à l’occupation israélienne ne peuvent que recommencer. On ne peut demander à un peuple opprimé, brimé par un blocus qui interdit toute vie sociale normale et nié dans ses droits politiques élémentaires, et donc dans sa dignité, de baisser les bras dans tous les secteurs de sa population. Supposez que pour une raison ou pour une autre, le Hamas ou le Jihad islamique s’« assagissent » aux yeux des bien-pensants, peut-on affirmer qu’un autre ne groupe ne surgira point, qui réagira à cette situation injuste et aux crimes des « assassinats ciblés » par de nouveaux tirs de roquettes « aveugles » ?

On comprend qu’au bout de près de deux moins de bombardement, la population de Gaza ait éprouvé un besoin de répit. On raconte en Palestine l’histoire de Palestiniens en enfer, en proie au supplice du pilon. Au bout d’un temps, ils demandent à Iblis – le Diable ‒ de changer de mortier. Ce dernier leur accorde cette faveur mais les mène à un instrument plus gros. Bien qu’ayant pu éprouver que la taille de ce dernier augmente encore leur souffrance, voici qu’après un nouveau délai, les malheureux demandent une nouvelle fois de changer de d’instrument de torture. Iblis satisfait leur requête mais, intrigué, leur demande : « Pourquoi changer de mortier alors que le pilon sera à chaque fois plus pénible ». Et nos suppliciés de répondre : « C’est vrai, mais entre deux mortiers, nous avons un répit ».

Il y a toute chance que le cessez-le-feu « illimité » ne soit, toutes choses égales par ailleurs, qu’un répit dans l’enfer de la vie des Palestiniens.

Roland Laffitte. Pantin, l 3 août 20104.

voir aussi  « Le drame palestinien : la responsabilité de l’Occident », paru dans Témoignage chrétien du 11 mai 1991.