Sur le discours de François Hollande le 2 février 2013 à Bamako
Extrait de mon livre La Ronde des libérateurs de Bonaparte à Hollande,
Paris : AlfAbarre, 2013.
Ce discours] suggère quelques remarques. Tout y est des antiennes lénifiantes de la libération des peuples. Le libérateur autoproclamé n’a d’autre intérêt particulier que celui qui s’identifie avec ceux de l’humanité entière, aujourd’hui la lutte contre le « terrorisme ». Confondant, dans ce terme flou à la gamme d’acceptions terriblement élastique, les opposants armés au pouvoir en place ‒ indépendamment du jugement que l’on peut porter sur leur action ‒, il dissimule ses intentions derrière l’étendard de droits de l’homme et d’une démocratie érigés en religion universelle. Le libérateur n’a, devrait-on penser, aucune arrière-pensée de contrôle dans le pays où il répand ses troupes : aucune visée sur les promesses d’un sous-sol que l’on dit – mais sans que cela soit toutefois encore vraiment prouvé ‒ riche en uranium, hydrocarbures et terres rares. Il n’affiche aucun objectif de maîtriser un territoire pour des raisons géostratégiques, comme si celles-ci ne constituaient pas un invariant dans la politique sahélienne et africaine de la France, même si cette dernière soit en négocier aujourd’hui les termes avec d’autres empires. Il n’a d’autre motivation, à ses dires, que philanthropique, que son dévouement historique au peuple malien, sa volonté altruiste d’aider au rétablissement des libertés du pays contre des oppresseurs étrangers. Il vient en toute fraternité participer au développement et à sa marche vers la démocratie, un instant suspendue de son cours naturel par des éléments allogènes dont l’activité n’airaient aucune racine dans la vie du pays et qui seraient en quelque sorte tombés de façon inopinée d’une planète lointaine et mystérieuse.
Tout cela serait bien plus crédible si le poids de la France ne restait pas déterminant dans l’économie et la société malienne, où de multiples accords inégaux, sur les plans aussi bien culturel qu’administratif, financier autant que militaire, verrouillent les relations entre un petit pays pauvre et la France aisée, même si sa puissance à l’échelle internationale n’est qu’un pâle reflet de celle d’hier. La France est loin d’être étrangère à la situation catastrophique du Mali actuel […]. Affaibli par une succession de crises climatiques de plus en plus graves qui entrainent le déracinement de populations nombreuses, pas seulement notamment celles du Nord, le pays est en effet mis à mal, tout comme ses voisins, par la tutelle financière du FMI et du club de Paris devant lesquels l’État français s’est habilement défaussé, pour dicter leur loi : sous peine de se voir couper les bourses, le Mali est condamné à une ouverture libérale par aux conséquences désastreuses : fragilisation de la production locale ‒ y compris celle du coton ‒ par la concurrence de pays riches comme les États-Unis, limitation, comme au Niger, des prises de participation publiques dans les sociétés étrangères et privilèges fiscaux qui leur livre le pays sans contrôle, liquidation du patrimoine public au profit d’une bourgeoisie serve d’intérêts étrangers, et mise en coupe réglée des classes populaires. La soumission du pays aux appétits des financiers globaux alimente une corruption à grande échelle de couches entières de l’État ‒ et notamment l’armée ‒ impliquées dans le négoce international et la dilapidation des biens publics. À cela s’ajoute que la situation géographique fait qu’il constitue actuellement est, pour son malheur, voie de passage de trafics de tous ordres entre l’Amérique latine et l’Europe ‒ en premier lieu celui de la drogue ‒ reliant notamment du Nigéria à l’Algérie. L’État est si faible que, loin de pouvoir résister aux pressions des trafiquants, il s’en est fait, par des pans entiers, largement le complice. Devant les exactions odieuses des salafistes et des narco-(d)jihadites, il était aisé d’invoquer le danger pour justifier une intervention française et beaucoup de Maliens s’y sont laissé prendre. Mais ces courants eux-mêmes prospèrent sur le terreau d’une décomposition sociale dont la France est pour large part responsable.
La réalité est qu’au Mali la France est l’acteur principal de l’équipe des pompiers pyromanes internationaux. Le jour où il y a le feu dans l’immeuble, il est difficile de reprocher à ses habitants de faire appel à celui qui se propose de l’éteindre et qui seul a le moyen de le faire, et de le faire sans s’inquiéter de sa nature profonde. […] En cinquante ans, les gouvernements successifs ont eu, à maintes reprises, l’occasion de tourner la page d’un passé peu glorieux, de rompre avec la politique dite du « pré carré » ou de la « Françafrique ». Mais chaque velléité d’un secrétaire d’État français d’infléchir quelque peu le cours de choses en prenant au mot les proclamations présidentielles, s’est soldée par son élimination du gouvernement : pensez à Jean-Pierre Cot ou à Alain Joyandet. Quant aux tentatives africaines de modifier le rapport existant, elles se sont heurtées à une hostilité évidente dans l’attente de l’occasion favorable pour remplacer les gouvernements réfractaires ou rebelles par d’autres, soumis et dociles, et cela dans des conditions parfois dramatiques : songez à Thomas Sankara, assassiné en 1987.
En fin de compte, aucune tentative de rompre ou même de transformer substantiellement la nature des rapports d’étroite dépendance qui lient à l’impérialisme français les États appelés par un pudique euphémisme « anciennes colonies d’Afrique », n’a réussi. Tout reste donc à faire pour engager une véritable politique de coopération massivement compensatrice des dommages de la colonisation et vraiment désintéressée. […] François Hollande ne manque pas d’audace quand il invoque l’indépendance de 1960. Il est probable que, dans son esprit, cette indépendance fut « octroyée » par la France, et que pour lui comme pour son prédécesseur, « l’homme africain n’est pas encore assez entré dans l’histoire ». En tout cas, lui et ses ministres, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian en tête, ne laissent pas beaucoup de place à l’« homme malien » lorsqu’avec une assurance hautaine de proconsuls, ils donnent publiquement des ordres sur la date des élections qui doivent parachever la fiction démocratique de la tutelle étrangère sur le Mali réclamée par les financeurs – Europe, Amérique du Nord, FMI, etc. ‒ dont la France recherche l’aide. […] Quand Hollande parle de la France venant au secours des Maliens pour une « nouvelle indépendance », il renouvelle l’imagerie coloniale-paternaliste de la République féconde et généreuse protégeant ses enfants africains…