Mettre nos prénoms en commun
Présentation de la plaquette
résumant l’action au lycée Van Der Meersch
(Années scolaires 2009-2010 & 2010-2011)
Dernière mise à jour le 06/01/2014
Les chaînes de télévision présentent à tous les foyers de notre pays l’éphéméride de Météo France qui donne le prénom du jour. Les prénoms qui défilent ainsi sous nos yeux sont ceux du calendrier romain, c’est-à-dire celui de l’un des saints du jour retenu par le Vatican, calendrier qui sert de modèle à celui que les postiers ou les pompiers viennent nous proposer avant le nouvel an ou celui que nous trouvons dans les calendriers usuels.
Nous y trouvons par exemple Adelphe, qui est un joli prénom masculin mais n’est aujourd’hui porté dans notre pays que par quelques personnes âgées, alors que n’y figure pas Jade qui, ces dernières années, est l’un des prénoms les plus appréciés pour les petites filles…
Disons-le autrement. Le calendrier romain livre de très beaux prénoms qui ont toujours la faveur du public, mais il présente une lacune grave : la plupart des classes de nos écoles, lycées et collèges comprennent un nombre important d’élèves dont le prénom n’y figure pas. Ainsi, sur les 63 prénoms que nous trouvons dans la liste de ceux relevés au lycée Van Der Meersch lors de l’action « Nos prénoms, notre richesse », seuls 28 peuvent se rattacher au calendrier romain, directement ou indirectement comme variante ou comme diminutif.
Les calendriers en retard sur la législation
Le défaut des calendriers qui vient d’être relevé s’explique par une raison très simple. Très longtemps, l’administration a appliqué la loi du 11 germinal de l’an XI (1er avril 1803).
En vertu de cette règle, pouvait seulement être accepté pour un nouveau né un prénom figurant dans les différents calendriers, comme Marie ou Jean, ainsi que les noms de personnages historiques comme Roxane ou César, ou mythologiques comme Pénélope ou Ulysse. En fait de calendriers, il s’agissait dans la pratique avant tout du calendrier romain, auquel s’ajoutait une liste plus ou moins officielle contenant certains prénoms permis par l’usage. Dans ces conditions, l’admission d’un prénom nouveau ou original dépendait surtout de la bonne humeur ou du bon vouloir de l’officier de l’état civil.
Il y a pourtant belle lurette que la mode a changé. On constate en effet qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale la mode s’est mise aux prénoms anglo-saxons comme Cynthia ou Johnny.
À côté de cela, a grandi lentement la tendance à donner aux prénoms leur forme régionale, bretonne comme Yann ou occitane comme Magali.
Plus généralement se sont progressivement introduits dans l’état-civil des prénoms portés dans des milieux ne se retrouvant pas dans le calendrier officiel, comme c’est le cas des familles musulmanes : le résultat est que Mohamed est aujourd’hui autant porté, tous âges confondus, que Bertrand ou Régis, et Fatima autant que Lise ou Roselyne. Cela est-il vraiment étonnant quand, à l’échelle du pays tout entier, et donc davantage dans certaines villes et certains quartiers, plus de dix enfants sur cent naissent dans une famille de culture musulmane ?
Un autre fait est à signaler : les pays anglo-saxons ont adopté depuis longtemps des prénoms venus de la littérature comme Vanessa ou Samantha, et cette mode a également largement pris chez nous.
Il était difficile pour les pouvoirs publics d’ignorer des changements de mœurs d’aussi vaste ampleur. Ils ont cherché à s’y adapter et ont été conduits, dès le milieu des années 1960, à assouplir la législation. De décret en règlement et de directive en arrêt de la Cour de Cassation, a fini par voir le jour, au terme de cette évolution, la loi du 8 janvier 1993 qui donne entière liberté de choix du prénom et n’interdit que ceux qui pourraient porter préjudice à l’enfant.
Il a fallu deux siècles entiers pour retrouver la règle que, dans son élan libéral, avait adoptée la Révolution française ! Voici ce que cette dernière a établi en la matière entre 1792 et 1793 : elle substitue tout d’abord la notion de « prénom » au « nom de baptême ». Elle donne ensuite aux parents libre choix du prénom pour leurs enfants. Et l’usage s’établit alors de leur attribuer des prénoms nouveaux. Font alors fureur ceux qui sont pris dans le calendrier républicain, celui de Fabre d’Églantine, qui indique chaque jour un nom puisé dans les métiers ou la nature, notamment les fleurs dont quelques uns sont restés comme Pâquerette ou Muguette.
Mais une autre vogue qui prend en même temps, et n’est pas propre à notre pays puisqu’elle se retrouve en Angleterre et aux États-Unis, et traduit la passion pour l’Antiquité classique, est celle de noms tirés de la mythologie comme Orphée ou Ulysse de l’histoire comme Brutus ou Gracchus.
Pourtant, une telle liberté n’a pas duré longtemps. Après le concordat conclu en 1801 entre le Premier consul Bonaparte et le pape Pie VII, elle est considérablement restreinte par la loi de 1803 évoquée précédemment.
Mais aujourd’hui où le choix des prénoms est délié de toute entrave administrative, comment expliquer le décalage entre les listes du calendrier des Postes ou l’éphéméride des journaux télévisés, et celles que nous pouvons constater dans les classes de nos écoles ?
Il semble que l’explication soit à rechercher dans l’inertie d’une tradition désormais dépassée. Cette pratique offre un bien mauvais côté, celui de laisser supposer que les prénoms du calendrier romain seraient français et les autres pas. La distinction est d’ailleurs exprimée par de nombreux ouvrages ou sites internet consacrés aux prénoms.
L’ironie des « prénoms français »
Que doit-on entendre par prénom français ? Est-ce la forme française d’un prénom du calendrier romain, par exemple Jacques ? Mais ce prénom se décline largement, dans l’état-civil-même, sous d’autres formes. En voici quelques unes : James, Jim et Jimmy qui nous viennent d’Angleterre, Jaime et Diego d’Espagne, Tiago du Portugal, Giacomo d’Italie, Jakez prisée en breton, Jacme en occitan, etc. Nous avons là un éventail de manifestations d’un nom originel commun, qui est celui du prophète Ya’qôv, le frère d’Esaüe qu’« il talonnera », ou qu’il « suivra de près », comme l’indique la signification de ce nom en hébreu. La Bible grecque en a fait Iakovos, puis la latine Iacobus, d’où nous avons tiré Jacob et toutes les variations déjà mentionnées. D’un autre côté l’arabe prenait, par le canal de l’araméen qui était la langue du Christ, la forme Ya’qûb, aujourd’hui présente dans l’état-civil français par les transcriptions Yacoub et Yakoub.
Rares sont en effet les prénoms nés dans le creuset de la langue française. Nous rencontrons bien des Cerise ou des Anémone, autrefois inscrits dans le calendrier républicain et qui se réveillent aujourd’hui après un très long sommeil. Même le prénom Jade, apparu dans les années 80, a été inspiré par son correspondant dans la langue anglaise qui l’a précédé de quelques années.
La vérité est que l’immense majorité des prénoms portés dans notre pays sont dus à d’autres langues que le français : langues de l’Antiquité comme l’hébreu biblique, le grec ou le latin, ou langues communes d’Europe dans leurs formes anciennes, comme les langues germaniques, en général l’allemand ou le vieil anglais, celtiques comme l’irlandais ou le breton, etc. Imaginez : même François, qui semble être le prénom français par excellence, est curieusement venu par la traduction de l’italien Francesco, il est dû au père de François d’Assise qui l’a donné à son fils en hommage aux Français avec qui il faisait de fructueuses affaires…
À présent une anecdote. Un Président de la République française, assassiné en 1884 par l’anarchiste Caesario, est connu sous le nom de Sadi Carnot. Sadi, un nom bien étrange, mais qui a une belle histoire.
En fait, le véritable nom de ce personnage est Marie François Sadi Carnot, fils d’Hippolyte, qui fut ministre de l’Instruction publique en 1848, et neveu de Sadi, physicien de renom considéré comme créateur de la thermodynamique. Ce dernier était lui-même le fils aîné de Lazare, le révolutionnaire respecté, député à la Législative puis à la Convention et qui, en tant que membre du Comité de salut public, organisa la levée en masse en 1793 et a mérité le surnom d’Organisateur de la victoire.
Lazare Carnot a eu beaucoup de chance, une chance due à son grand prestige : l’employé de l’État civil a appliqué de façon bienveillante la loi de 1803 reprise dans le Code Napoléon, et donc applicable alors, en le laissant nommer son aîné Sadi. C’était en l’honneur du grand poète persan Saadi, auteur, dans le Bagdad du XIIIe siècle, d’un chef-d’œuvre intitulé Le Jardin des roses…
En voici quelques vers qui expriment bien, longtemps avant la Déclaration des droits de l’homme, cette idée que cette dernière contenait :
Les êtres humains sont parties d’un même corps,
Ils sont issus de la même essence.
Lorsqu’une de ces parties est atteinte et souffre,
Les autres ne peuvent trouver ni la paix ni le calme.
Si la misère des autres te laisse indifférent,
Et sans la moindre peine, alors :
Il est impensable de t’appeler « être humain »[1].
Aucune polémique n’a été relevée à l’époque pour le choix de ce prénom « étranger »…
De fait, la seule manière de définir les prénoms français qui élimine toute équivoque est la suivante : sont français ceux qui sont consignés sur l’état civil de la République française… C’est l’esprit de la République, celui des lois de 1792 et 1793, qui a été revivifié par la loi de 1993.
La preuve par neuf de cette proposition est fournie par les prénoms féminins les plus attribués ces derrières années. Nous trouvons parmi eux, dans l’ordre alphabétique Clara, Chloé, Emma, Lea ou Lola. Le premier de ces prénoms, Clara, est le correspondant espagnol ou portugais du français Claire, qui est le dérivé du nom d’une sainte médiévale proche de saint François, Chiara d’Assisi. Le second, Chloé, est l’épithète de la déesse grecque Déméter, dont le sens est « jeune pousse » et qui a été employé comme nom de personne dans la littérature hellénistique : introduit comme prénom dans l’Angleterre de la Réforme protestante, il a été ensuite popularisé dans notre pays par un ballet de Maurice Ravel et surtout par le roman de Boris Vian, l’Écume des jours. Le troisième, Emma peut être vu comme un diminutif d’Emmanuelle, forme féminine d’un nom d’origine hébraïque signifiant « Dieu est avec nous », mais il est aussi en lui-même un nom classique dérivé du germanique ermen, « universel », introduit en Angleterre par les conquérants normands et popularisé par la littérature d’outre-Manche. Le suivant, Léa, n’est pas seulement un nom biblique, celui de la femme de Jacob, qui signifie « gazelle » ; c’est aussi celui d’une veuve romaine proche de saint Jérôme, qui veut dire « lionne ». Quant au dernier, Lola, c’est le diminutif de Dolores, titre donné en Espagne à la Vierge Marie, à savoir Maria de las dolores, littéralement « Marie des douleurs ».
Une petite curiosité à l’adresse des nostalgiques du calendrier romain : bien peu d’entre eux ont remarqué qu’il existe un saint Abdallah dont la fête est le 16 septembre, également nommé par les traductions de ce nom marqué au sceau de la langue arabe, soit la latine Servusdei, l’espagnole Serodio, et même la française Serdieu. Et bien moins nombreux encore sont parmi eux ceux qui ont baptisé leur fils de ce nom…
L’importance sociale du prénom porté
Ce qui se cache derrière l’idée de prénoms français, c’est la revendication que les noms des enfants français devraient se fondre dans le moule majoritaire. On ne peut certes pas ignorer que le prénom n’est pas neutre pour celui qui le porte : il dit quelque chose sur les traditions familiales, culturelles et religieuses. Il peut malheureusement, dans certains cas, donner prétexte à discrimination, que ce soit à l’embauche, au logement ou dans tout autre domaine de la vie sociale.
Cela a été vrai dans le passé, pour ce qui est de la religion, pour nos compatriotes de confession juive par exemple. Cela s’avère aussi, pour ce qui est de l’origine géographique des familles, c’est le cas des Polonais par exemple qui ont souvent francisé leur nom, transformant notamment Pawel en Paul, ou qui ont abandonné des prénoms trop connotés à leur pays d’origine, comme Czeslawa, dont le sens est « honneur et gloire », et qui n’a que des correspondances partielles dans des prénoms plus connus comme Erica ou Roberta.
Aujourd’hui, le problème se pose surtout pour les enfants nés de familles venues des pays du Maghreb, du Proche-Orient ou d’Afrique subsaharienne. La tendance à changer de prénom sans rapport avec la tradition familiale existe dans ces composantes de notre société, mais elle n’est pas générale, loin s’en faut.
Pour ce qui est des familles de religion ou de culture musulmane venues d’Afrique noire, il existe une pratique intéressante qui consiste à porter un prénom traditionnel conjointement au prénom musulman, comme c’est le cas de Néné-Awwa, rencontré au cours de l’action « Nos prénoms, notre richesse » au lycée Van Der Meersch (voir p. 39-41).
Dans les familles originaires du Maghreb, il existe une autre tendance, celle qui consiste à choisir des noms qui, bien que nés dans la langue arabe, correspondent à des noms usuels forgés dans des langues européennes : ainsi Lina, en 27e position des prénoms féminins attribués en 2007, signifie « souple et tendre » en langue arabe où il s’applique notamment à une branche de palmier, mais il sonne comme diminutif de plusieurs prénoms anglais, italiens, ou autres finissant en -lina comme Adelina : il est difficile de démêler dans ce cas l’une et l’autre origine bien que l’arabe semble être la plus importante.
La plupart des familles préfèrent toutefois nommer leur enfant en suivant leur propre tradition culturelle ou familiale, ce qui est tout à fait naturel. Ainsi Mohamed qui occupe toujours, en 2007, la 37e place des prénoms masculins entre celle de Romain et celle de Nicolas, est toujours le prénom masculin le plus attribué dans les familles de culture musulmane ; mais celui qui vient immédiatement après lui, à la 40e place, est Rayan, de l’arabe Rayyân, dont le sens est « bien abreuvé », puis « beau », qui est le nom d’une des portes du Paradis, mais ressemble à l’anglais Rian.
Il s’en suit un devoir de la collectivité nationale : celui de protéger ses membres contre les conséquences néfastes de ces choix de prénoms tout à fait légitimes qui font partie des droits reconnus à tout compatriote et, plus généralement, à toute personne vivant dans notre pays. Et l’École est un lieu privilégié d’éducation à cette tâche citoyenne.
Mettre en commun nos prénoms invite à un voyage dans les différentes cultures
La diversité des prénoms est réellement un bien commun de la collectivité, et assumer cette donnée ne peut avoir que des effets bénéfiques sur le vivre ensemble. Or la liste des prénoms de n’importe quelle classe de n’importe quel établissement scolaire pris au hasard renferme assurément un échantillon de ce trésor culturel.
On y trouve une vaste gamme de prénoms d’origines très différentes dont il suffit de mettre en lumière la signification et le cheminement, souvent cachés, pour entreprendre un voyage prodigieux dans l’espace et le temps. La découverte de l’origine des prénoms et de leur parcours suscite le plus souvent curiosité et intérêt : elle permet en tout cas une promenade très instructive dans les grandes langues et cultures passées et présentes. Pour un enseignant, que demander de mieux ?
Les prénoms rencontrés chez les élèves et les enseignants du lycée Van Der Meersch n’échappent pas à la règle générale. Il n’est pas de classe où l’on ne trouve, comme ici, des prénoms comme Awwa, qui part de l’hébreu Havva, le nom porté dans la Bible par la première femme ; communiqué aux peuples du Sahel africain par la religion musulmane, il a suivi l’installation de familles de cette région d’Afrique dans notre pays où il rencontre ses prénoms cousins Eva et Ève. Nous trouvons toujours des prénoms d’origine latine, en l’occurrence Émilie ou Maxime ; des prénoms grecs comme Christine ou Philippe ; des germaniques comme Adeline ou Louis. Ne sont pas rares aujourd’hui, depuis que souffle un vent de culture anglo-saxonne dans laquelle ils se sont épanouis, des prénoms d’origine gaéliques comme Jennyfer ou Kevin, et depuis l’installation en France des familles de travailleurs venus du Maghreb, des prénoms d’origine arabe comme Malika ou Jamel. Nous ne pouvons ignorer que dans certaines localités, les prénoms portés par des élèves de famille venues du Maghreb ou d’Afrique noire constituent pratiquement la moitié des prénoms. C’est le cas des classes qui ont participé à l’action « Nos prénoms, notre richesse ».
Les prénoms peuvent venir de la tradition religieuse comme Fatima ou Mohamed, bien que ces derniers ne soient pas plus que Marie ou Christian du calendrier romain, la marque obligatoire de la pratique cultuelle. Ils sont très souvent des noms correspondant à des mots proprement arabes sans aucune connotation religieuse comme Kenza, « trésor », ou Lotfi, « bienveillant ». Ils sont encore des prénoms empruntés par l’arabe à d’autres langues, notamment le persan, comme Nesrine, « églantine », ou Shaineze, « fierté du roi ». Nous trouvons aussi des prénoms d’origine berbère comme Missipsa, turcs comme Ozan, « barde », ou formés dans des langues africaines comme Néné, « mère », qui nous vient du peuhl.
Une telle promenade dans le temps et l’espace permet de mettre en évidence deux phénomènes qui sont les deux faces d’une même réalité :
- Le premier phénomène est une profonde similitude dans la manière avec laquelle les différentes langues et cultures font le choix de noms exprimant une valeur prisée comme la paix (voir à ce sujet l’encadre p. 15), ou encore une qualité, un état valorisant ou un titre. C’est, pour les filles, le cas deFarah, Joy et Laetitia, qui tous trois signifient « joie », ou encore Clémence et Latifa qui veulent également dire « aimable, gentille ». Pour les garçons, notons par exemple Maxime ou Ali dont le sens est « très grand », ou Basile, Malik et Régis, qui expriment « roi » en différentes langues.
Découvrir cette démarche commune contribue à répondre à un besoin tout à fait important : celui de briser les cloisons culturelles dressées entre les humains, parce qu’elle révèle une communauté profonde des sentiments chez les hommes et les femmes de traditions différentes.
- Le second phénomène réside dans l’originalité que présentent chaque langue et de chaque culture. Ainsi la langue germanique n’est pas familière des noms de fleurs comme la langue française : cela ressort du chapitre sur les « Travaux d’élèves » (voir pages 45-50). Mais elle nous a légué une quantité de noms exprimant des qualités guerrières ou héroïques :Guillaume par exemple contient les idées de « volonté et de « casque [c’est-à-dire : protection] » ; Gérard exprime celles de « lance [c’est-à-dire : attaque] » et de « fort » ; ce qui aussi vrai dans une certaine mesure pour le grec avec Alexis, le « défenseur », Nicolas, « Victoire du peuple ». La langue latine est à l’origine de noms correspondant à des défauts physiques, dont l’attribution est en général réprouvée dans les autres cultures, comme Paul, qui signifie « petit » ou Claude, « boîteux, -euse » ; mais à la décharge des Latins, il s’agit à l’origine de noms de famille devenus par la suite des prénoms… La langue arabe est riche en noms de parfums comme Abir, « parfum composé de plusieurs aromates », ou Leila, « parfum qui provoque l’ivresse » ; en pierres précieuses ou joyaux comme Farida, « perle », Jaouhar, « joyau » ; ou en noms du lion qui dépassent le nombre de 70 et dont nous connaissons notamment Abbas ou Hamza, relativement courants dans notre pays (voir notamment p. 53-54).
Goûter par le biais des prénoms des camarades de classe l’originalité d’autres cultures peut être une bonne manière d’élargir de façon ludique les connaissances et l’expérience du groupe entier, et permet à chacun de ses membres un enrichissement personnel.
Les objectifs éducatifs d’une action sur les prénoms
La mise en commun des prénoms remplit plusieurs fonctions :
La première fonction concerne la convivialité. Partager les prénoms dans le groupe est une manière de faire vivre celui-ci par l’échange sur un sujet qui touche tous ses membres de façon intime. Cela contribue à montrer que l’École est un lieu qui, pour être consacré à l’étude, n’en est pas moins convivial. Si l’action commence en début d’année, elle est particulièrement adaptée à l’accueil des élèves.
La seconde fonction consiste à favoriser la reconnaissance collective de chaque élève par le groupe. Échanger les prénoms est l’occasion pour chacun d’apporter la connaissance de cet objet culturel qu’est son prénom, et d’acquérir en même temps une reconnaissance et une valorisation par la classe entière d’une des facettes culturelles qui appartient à la personnalité de chaque élève.
Une troisième fonction est d’élargir l’horizon de tous. Discuter ensemble des prénoms est susceptible d’éveiller la curiosité des jeunes sur d’autres temps et lieux, sur les sociétés qui ont produit ces prénoms, qu’il s’agisse de leur signification, des modes de nommer les enfants et du statut assumé par ce que nous appelons « prénom ». Cela permet de s’enrichir de goûts nouveaux, de stimuler chez eux le désir de la lecture et de la recherche personnelle. L’univers des prénoms dit le besoin de décloisonnement, cela à contre-pied des manières de considérer les cultures comme des objets homogènes, fermés et rigides, nés d’un bloc et traversant l’histoire sans changement significatif. Une action sur ce thème est donc, du point de vue collectif, un moyen de faire toucher du doigt l’intériorité réciproque des différentes cultures, l’imbrication inextricable des différentes influences culturelles qui ne peuvent être isolées, séparées sans léser le corps social entier.
Nous avons essayé, dans cette plaquette, de rendre compte de façon vivante des résultats de cette action et espérons convaincre qu’elle mérite bien son nom : « Nos prénoms, notre richesse ».
Roland Laffitte, SELEFA
[1] Le Gulistân ou Jardins des Roses de Saadi, de son nom complet Abû Muhammad Muslîh al-Dîn bin ‘Abd Allâh Sa‘dî Shirâzî, a été maintes fois édité en langue française, notamment ces dernières années chez Seghers en 1976, Lidis en 1981, Albin Michel en 1991, ou Auzou en 2004.