Les États-Unis, risque majeur pour le système financier international

Extraits de États-Unis : La tentation de l’Empire global

[1ère partie] […]

Premiers signes de contestation de l’hégémonie par les alliés et contre-attaque des États-Unis

Dès le milieu des années 60 se firent entendre les premiers craquements dans la suprématie incontestée de l’hégémonie américaine sur ses alliés dans la sphère baptisée « Monde libre » face au camp soviétique, craquements dus à la reconstitution de la puissance économique des pays d’Europe et du Japon. Les déficits commerciaux des États-Unis conduisirent à l’affaiblissement du dollar dont le statut de monnaie internationale conférait alors un privilège jugé excessif aux États-Unis. Un pays ordinaire ne peut se payer des entreprises à l’étranger que grâce à des excédents dégagés par son commerce extérieur. En bonne logique monétaire, ce sont ces excédents qui permettent de dégager les fonds qui permettent de financer les investissements à l’étranger. Or les États-Unis, dérogeant à la règle commune, continuaient malgré les déficits à développer leurs investissements directs, accroissant ainsi leur pouvoir grâce à la seule prévalence du dollar. Cela n’alla pas sans provoquer de réactions des Européens et des Japonais qui se sentaient lésés. On se souvient de la position célèbre que prit le 4 février 1965 le général de Gaulle sur les conseils de Jacques Rueff, lorsqu’il dénonça le privilège du dollar qui permettait aux États-Unis de « s’endetter gratuitement vis-à-vis de l’étranger » et réclama une réforme du FMI et le retour à l’étalon or, qu’on pourrait résumer par : « Reprenez vos dollars et rendez-nous notre or ! »[1]. De tels conflits d’intérêts menèrent à l’ébranlement du système monétaire international fondé sur le dollar. Les crises monétaires répétées à partir de 1971 conduisirent aux réévaluations du yen et du mark, puis aux dévaluations successives du dollar. Ce qui poussa Richard Nixon au coup d’État monétaire qui décréta, le 15 août 1971, la démonétisation de l’or… La crise pétrolière de 1973 et le coup porté aux grandes compagnies nord-américaines firent naître la menace que les pays pétroliers ne se missent à recycler leurs recettes dans les systèmes bancaires européen et japonais, hors de la sphère des finances anglo-saxonnes. La crise pétrolière de 1973, la crise productive de 1974-1975 et la défiance vis-à-vis du dollar qui leur fut consécutive provoquèrent l’envolée du cours de l’or comme valeur refuge : l’once d’or qui avait été fixée par le Trésor à 35 dollars en 1935 et qui était restée stable jusqu’en 1970, commença à monter à 38 dollars en 1971, 42,22 dollars en 1973 et se déchaîna alors littéralement pour atteindre les 850 dollars en 1974 ! Le naufrage du gold exchange standard, c’est-à-dire le système monétaire international né à Bretton Woods, était patent. Il ne suffisait que de l’entériner, ce qui fut fait avec les accords de la Jamaïque qui instituèrent en 1976 un nouveau système monétaire avec une nouvelle monnaie mondiale, les DTS (Droits de Tirage Spéciaux) dans lequel le dollar était, du moins théoriquement, ravalé à une place proportionnelle à celle de l’économie étasunienne dans l’économie mondiale…
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Fuite en avant dans l’empire à crédit

La puissante contre-attaque de l’Empire américain, menée sur les plans commercial, technologique et militaire, fut-t-elle suffisante pour enrayer la perte relative du poids économique des États-Unis dans l’économie mondiale ? Pas du tout. C’est précisément là que le problème prend des proportions dramatiques. L’affaiblissement relatif de l’économie étasunienne est un phénomène irrémédiablement inscrit dans le développement international : les nations qui sont parties les premières suscitent l’envie des autres de suivre la même voie : pensons à la Chine ou à l’Inde, ou aux pays qu’une crise terrible avait effacés de l’Histoire et qui reviennent sur la scène, comme c’est le cas de l’Europe ou du Japon. L’économie des États-Unis représentait en 1945 près de la moitié de la production mondiale, elle n’en atteint aujourd’hui que le cinquième, venant désormais après l’Union européenne. Elle est même descendue à un niveau moindre qu’au lendemain de Première Guerre mondiale où sa contribution assurait déjà le tiers de la richesse de la planète.

Cela ne va pas sans poser aux États-Unis, qui ont pu donner à leur peuple un niveau de vie étonnamment élevé, des problèmes redoutables. Des études nombreuses montrent que la consommation étasunienne dans le monde, conséquence de la « société de consommation » qui est une des composantes du fameux american way of life, prend aujourd’hui des proportions démesurées. Il y a d’ailleurs quelque chose de curieux dans cette défense du mode de vie nord-américain. L’offensive néolibérale et la démolition de l’État providence des années Reagan ont privé de son bénéfice des couches entières de la société. Si l’emploi n’a pas diminué aux États-Unis, il ne s’est maintenu qu’au prix d’une déqualification et une précarisation de la masse des salariés.

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Le système productif du pays n’est plus en phase avec cette consommation exacerbée. À la faveur de l’ouverture des frontières et du développement du dollar comme monnaie mondiale, il s’est largement délocalisé, éparpillé sur la planète entière suivant les fils d’un réseau tracé par les sociétés multinationales. Mais pas seulement. Il a aussi profondément changé de nature. Si l’on essaie de ne pas se laisser éblouir par le clinquant de quelques marques emblématiques telles Coca-Cola ou McDonald’s, on peut se rendre compte du fait que nombre de produits de consommation courante ont commencé à être concurrencés dès le milieu des années 1960 par le redressement des économies européennes et japonaise, puis dans les années 1980 par le surgissement des dragons asiatiques. On a donc assisté à une certaine spécialisation de l’économie domestique et, dans une moindre mesure, de tout le réseau productif, dans les industries assurant le monopole technologique et stratégique qui a forcé à l’abandon des industries proprement civiles, ce qui place les États-Unis dans une dépendance de plus en plus grande du marché mondial. Ceci n’empêche d’ailleurs pas les autres pays, surtout le Japon et d’autres pays asiatiques, de concurrencer les États-Unis sur le terrain même de certains produits de haute technologie, notamment les composants électroniques. Le résultat est l’augmentation régulière depuis trente cinq ans du déficit de la balance des transactions courantes qui atteint maintenant des sommes astronomiques : 500 milliards de dollars en 2002 et, à ce rythme, 600 milliards en 2003…[2]

Pour tout autre pays de la planète, réduire le déficit commercial exigerait une dépréciation de la monnaie nationale, ce qui aurait pour effet de donner une prime aux exportations. Mais la structure particulière de l’appareil productif étasunien, c’est-à-dire sa relative spécialisation dans les industries assurant le monopole technologique et stratégique au détriment des industries civiles, produit un effet différent. Bien qu’une bonne part des achats s’opère en dollars, une dépréciation de cette monnaie par rapport au yen et à l’euro aurait pour résultat de renchérir considérablement une proportion non négligeable d’importations indispensables, réduisant ainsi fortement les effets positifs de la réduction des prix à l’exportation que cette dépréciation procurerait. À moins bien entendu d’une réduction radicale de la consommation intérieure du pays et donc d’une modification profonde du mode de vie, notamment pour les classes moyennes, ce qui n’est envisageable pour n’importe quelle administration que contrainte et forcée, mettons à l’occasion d’une crise économique véritablement catastrophique permettant de justifier des mesures draconiennes de limitation de la consommation des classes moyennes… Étant donné que le « mode de vie américain » est considéré comme sacro-saint et que rien ne laisse prévoir, dans les circonstances actuelles, de changement d’attitude, la balance des paiements courants est condamnée à assumer encore de prodigieux déficits.

Les autorités monétaires de Washington ont jusqu’ici pu compter, pour équilibrer les flux financiers induits par ce déficit, sur les investissements étrangers en actions et obligations qui se sont envolés avec la santé inouïe de la bourse de New York entre 1990 et 2000. Sa capitalisation totale était en effet multipliée par cinq entre ces deux dates, avant le dégonflement de la bulle de la « nouvelle économie », alors que pendant la même période, celle de Tokyo stagnait pratiquement avec une augmentation de 11% seulement, et que celle des bourses européennes n’était en moyenne multipliée que par trois…[3] Les apports de capitaux étrangers sont tels que, pour la première fois depuis 1914, les flux d’investissements directs ont été en 1985 positifs, ce qui veut dire que les étrangers ont investi davantage aux États-Unis que ces derniers n’ont investi à l’étranger… Or ces achats ont pris aujourd’hui de telles proportions que même les intérêts versés à titre de profits des investissements ont commencé à provoquer ces dernières années des sorties nettes de capitaux, renforçant à leur tour le déficit de la balance des paiements courants : les comptes du 4ème trimestre 2002 montraient ainsi une sortie nette de 5,4 milliards de dollars pour les intérêts versés sur les investissements directs[4].

Cela dit, les flux d’investissements directs ne suffisent pas à expliquer les énormes volumes de capitaux attirés par l’économie des États-Unis. Il faut aussi tenir compte du vaste appel de fonds provoqué par les énormes déficits budgétaires de l’ère Reagan, largement financés par la souscription de bons du Trésor sur le marché mondial. Ce phénomène a été momentanément interrompu par la politique de rigueur de l’administration Clinton qui a laissé un excédent de 120 milliards de dollars. Depuis, les énormes dépenses militaires de Georges Bush fils et son plan de relance de 130 milliards de dollars, en contradiction totale avec les principes libéraux affichés, ont à nouveau creusé le déficit budgétaire qui atteint le record de 455 milliards de dollars en 2003 et s’élèvera en 2004 à 475 milliards[5], comme pris dans une spirale sans fin[6].

La seule voie qui reste grande ouverte est, dans ces conditions, celle de la fuite en avant dans un endettement extérieur nouveau. La dette américaine atteignait déjà en 1997, selon l’institut McKinsey, pratiquement 50% du total de l’ensemble de la dette publique mondiale[7]. Cette tendance à l’endettement est si profondément inscrite dans la durée que les États-Unis ont cessé d’être les créanciers du monde qu’ils étaient devenus au sortir de la Première Guerre mondiale. Ils sont même devenus, depuis 1989, des débiteurs nets, dont la part dans la dette mondiale est désormais supérieure à celle du Tiers Monde. Ce changement de statut financier est d’ailleurs une des raisons de l’intervention contre l’invasion du Koweït par l’Iraq : « le recyclage des pétrodollars dans la finance anglo-saxonne grâce à la vassalisation des monarchies du Golfe – il s’agit de sommes énormes, plus de 400 milliards de dollars nets -, permet aux États-Unis, aujourd’hui débiteurs nets de 300 milliards de dollars, de conserver la décision dans le système financier, au détriment de l’Allemagne et du Japon »[8]. Mais l’effet d’aubaine de la Guerre du Koweït fut de courte durée. La dette extérieure se mit à croître de nouveau à partir de 1994 au rythme de 200 milliards par an pour approcher, à l’heure actuelle, les 3000 milliards[9]. En maintenant cette allure, elle pourrait arriver, selon les estimations, à 40% du PIB en 2007[10], et même, selon des estimations faites devant la commission du Sénat se penchant sur ces déficits, 60% en 2010[11], chiffres établis avant qu’on ne soupçonnât les déficits budgétaires actuels[12]

N’importe quel autre pays chercherait à limiter son endettement extérieur pour cette raison qu’il donne un pouvoir démesuré à ses créanciers. Les investissements directs qui consistent en prises de participation dans le capital des sociétés, mettent en effet les entreprises aux mains des groupes financiers étrangers, et les bons émis par le Trésor donnent un pouvoir aux investisseurs institutionnels et aux banques centrales étrangères sur l’État. Chacun cherche donc à échapper à ce que l’on appelle la « dictature des créanciers », particulièrement féroce pour les pays faibles[13]. Devoir des sommes aussi considérables que ne le font les États-Unis mettrait donc tout autre pays du monde dans une situation de dépendance tragique vis-à-vis de ses prêteurs, ce qui entraînerait de graves conséquences dans les rapports entre États. On ne peut en effet emprunter indéfiniment sans avoir besoin de l’aval des États fournisseurs de fonds et sans être conduit, au bout du compte, à leur faire des concessions politiques. Eh bien, pour les États-Unis, c’est le contraire qui se passe. Par l’effet mécanique du jeu de l’offre et de la demande, les flux massifs de capitaux internationaux aspirés par l’économie domestique maintiennent le dollar à un cours élevé. Le plus grand débiteur du monde, celui qui mobilise aujourd’hui à lui seul plus de la moitié de l’épargne mondiale[14] pour une production qui dépasse à peine 20 %, est celui à qui on fait confiance et on rend des comptes. Nous sommes donc dans une situation absolument inédite : c’est le débiteur, l’emprunteur qui dicte sa loi et le banquier qui doit passer sous les fourches caudines de son client et satisfaire ses caprices. Là encore le monde est vu dans le miroir. Tout marche ici à l’envers des lois habituelles, comme si l’économie étasunienne obéissait aux lois d’une anti-économie…

Avantages exorbitants du privilège impérial

La raison de ce phénomène étrange réside dans le fait que les États-Unis, devenus les maîtres du système monétaire et financier à une époque où ils étaient les banquiers du monde, le sont restés à l’heure où ils en sont les principaux débiteurs. De là découle ce que l’on pourrait appeler le « privilège impérial ». Pour comprendre les avantages tout à fait exorbitants que confère un tel système à l’économie des États-Unis, il faut dire quelques mots de la nature du lien entre système financier et monnaie, en évitant toutefois fois d’entrer dans des considérations techniques. Le capitalisme moderne est une « économie de crédit » : il repose sur la « confiance », notion dont on parle beaucoup, sans toujours savoir ce qu’elle implique et qui est pourtant inscrite dans les termes : le mot crédit est le latin credit qui signifie « il confie en prêt » mais d’abord « il croit » et « il a confiance »… Dans un tel système, les agents économiques sont liés par une chaîne de confiances et de solidarités réciproques : ainsi les investissements et, partant, la croissance sont fondés sur la confiance qu’ont les industriels dans l’avenir, tandis que les moyens financiers de ces investissements reposent sur le crédit accordé par les bailleurs de fonds, en prêts ou en titres boursiers en vertu de la confiance qu’ils ont dans le succès des entreprises concernées.

C’est sur ce rapport de confiance réciproque que repose la monnaie en cours par l’intermédiaire de laquelle on doit obligatoirement passer pour investir. Or cette monnaie ne repose plus du tout, à l’heure actuelle, sur les espèces sonnantes et trébuchantes, c’est-à-dire la monnaie métallique. Elle n’est plus fondée que de façon tout à fait marginale sur la monnaie fiduciaire représentée par les billets de banques et qui a pour fondement la mobilisation du crédit commercial et des reconnaissances de dette à court terme de l’État, c’est-à-dire les bons du Trésor. Elle s’appuie en fait pour l’essentiel, soit à près de 90% de la masse monétaire, sur la monnaie scripturale qui tient son nom du fait qu’elle est représentée par des écritures en banque (chèques, virements, etc.) provoquées par des découverts bancaires, et dont la base est assurée par les dépôts en banque des entreprises et des ménages, c’est-à-dire, là encore, sur la confiance réciproque : d’une part, celle du banquier qui suppose la solvabilité de son client et, de l’autre, le client qui accorde sa confiance dans la solidité de la banque.

Un tel système a permis à l’investissement de se libérer des limites posées par les autres formes monétaires plus anciennes en lui fournissant des liquidités théoriquement illimitées, puisqu’il suffit de croire fermement en l’avenir pour que l’investisseur ait les chances de convaincre un financier. On trouve une illustration éclatante de ce phénomène dans la capitalisation boursière des moteurs de recherche, entreprises à la mode s’il en est : si, à titre de comparaison, la capitalisation boursière d’Exxon s’élève en ce moment à 234 milliards $, dépassant à peine son chiffre d’affaires qui est de 180 milliards, celle de Yahoo par exemple atteint les 12 milliards $, ce qui correspond à 64 fois son chiffre d’affaires. Cela repose sur l’espoir de gains suscité par une croissance de ce paramètre de l’ordre de 180% par an et permet en une seule année une valorisation que les grands investisseurs institutionnels comme les fonds de pensions escomptent en 6 ans sur la base d’un retour sur capital de 15% par an, ce qui est déjà énorme et met aujourd’hui une énorme pression sur la gestion des entreprises. Nous avons atteint avec cette « nouvelle économie » le stade pathologique de l’économie de crédit.

Mais si cette construction libère totalement l’investissement et exalte la croissance économique, elle présente en même temps une extrême vulnérabilité aux ressacs de la conjoncture, lesquels peuvent être occasionnés par n’importe quel événement grave : accident d’une entreprise majeure, morosité des agents économiques, affolement boursier, crise politique ou sociale, fermeture brutale d’un marché, tension internationale, coup d’État, guerre, etc. En effet toute diminution de la confiance tend à limiter les liquidités monétaires et menace donc l’ensemble des échanges en faisant craindre une contraction brutale de l’activité économique. Pour faire un parallèle, on peut considérer l’économie de crédit comme une toupie. L’ensemble des échanges est constitué par la surface supérieure du cône de cet astucieux instrument. La base économique de la monnaie est devenue tellement restreinte par l’effet multiplicateur de crédit permis par la monnaie scripturale qu’elle ne correspond plus qu’à la pointe du cône. Quant au miracle qui fait tourner l’économie de crédit et qui n’est autre que la confiance réciproque de tous les agents économiques, il peut être comparé au moment d’inertie de la toupie dont nous avons fait, éblouis, l’expérience dans nos jeux d’enfants : la sûreté et l’harmonie de la rotation de ce magnifique petit objet dépend de la vigueur de l’impulsion initiale qui lui est donnée et donc de l’habileté de celui qui en tire la ficelle. Pour en revenir à la société, l’image de la toupie permet de comprendre que la confiance nécessite une direction forte, une autorité forte, bref un pouvoir politique fort.

Régulariser la succession saccadée des hauts et des bas de la conjoncture exige un volant d’inertie, lequel est aujourd’hui constitué par un double dispositif. Le premier élément réside dans la solidarité interbancaire active organisée sous l’égide de la banque centrale, système mis en place au États-Unis au début du XXe siècle par Theodore Roosevelt sur l’initiative du banquier John Pierpont Morgan pour éviter un effondrement du système bancaire. Le second élément tient au verrouillage de tout le système par la garantie du Trésor aux institutions de crédit, en vertu de l’adage too big to fail : on oublie que le coût budgétaire de la faillite des caisses d’épargne s’est élevé, seulement sous l’ultralibérale administration Reagan, à 150 milliards $…[15] Tous les pays font de même. On n’ose envisager ce qu’il serait advenu en France sans la possibilité, il y a une décennie, de fiscaliser le déficit de 25 milliards € du Crédit Lyonnais. En dépit des fables colportées par les libéraux des différentes chapelles, partisans de l’abstinence étatique en matière économique comme le pasteur Thomas R. Malthus prêchait l’abstinence sexuelle en matière de naissances, l’État est pour les simples raisons qui viennent d’être avancées, le garant de la monnaie et la clé de voûte du système de crédit. Il n’est pas le simple « État-gendarme » veillant, sourcil froncé, à la bonne marche de la concurrence. Il intervient bel et bien dans l’économie, aussi libérale qu’on la veuille, il en est bel et bien le chef d’orchestre. Ce rôle est même bien plus important que celui, purement économique, sur lequel vient d’être levé un coin du voile. Parce que tout le système repose, comme nous l’avons rappelé, sur la confiance et que la confiance est une notion globale susceptible d’être écornée par n’importe quel événement surgissant de quelque sphère que ce soit de la société, qu’elle soit économique, financière, sociale, politique ou culturelle. Or, dans une économie globalisée, cette confiance peut aussi désormais être malmenée par tout événement advenant dans quelque partie de la planète que ce soit. Les leviers décisifs de la confiance sont donc dans les mains du politique, dans l’aptitude du gouvernement à tenir les rênes de la société, dans son habileté de cocher zélé à stimuler, de coups de fouets bien appliqués, les chevaux qui tirent la voiture, à créer foi voire euphorie en l’avenir… En somme, la clé de la confiance est dans l’art de gouverner, elle est de nature politique.

L’effet immédiat de la Guerre du Koweït fut la confiance retrouvée dans la puissance de l’Empire américain, ce sans quoi on expliquerait mal la croissance des années 90. Les effets économiques de cette guerre furent patents pour les États-Unis. Si le déficit commercial ne fut que très peu réduit puisqu’il ne descendit pas, en 1991 et 1992, au-dessous de 100 milliards $, soit son niveau de 1989 et 1990, l’endettement net du pays se réduisit davantage, passant de 500 milliards $ en 1992 à 200 en 1994 où il retrouva son niveau de 1990[16]. Le coup de fouet donné par les succès guerriers de la coalition de 1991 à la société étasunienne et la reprise économique, l’effacement du Japon, en proie à une crise d’identité de son modèle économique, la mise entre parenthèses de l’Union européenne, accaparée par les tâches de sa construction, l’absorption de l’Allemagne de l’Est dans la République fédérale et la crise yougoslave, tout cela permit de faire remonter légèrement le poids des États-Unis dans la production mondiale. Stimulé par cette marche économique triomphale, le billet vert se mit même à relever nettement la tête : tandis que 44,6 % des capitaux levés sur les marchés internationaux étaient libellés en dollars en 1990, cette proportion passa en effet à 56,2 % en 1995, pour 10,7 % en euros. Mais l’effet fut de courte durée : la part de l’euro dans les transactions internationales a presque triplé entre 1995 et 2000 pour s’élever à cette date à 28,6 %[17].

Pour établir ici une comparaison entre les États-Unis et l’Europe, cette dernière a bien pu réaliser l’union monétaire, mais l’euro souffre encore de l’inexistence d’une réelle autorité politique européenne. Les Européens se sont d’autant mieux entendus sur la question d’une banque centrale indépendante du pouvoir politique que cette idée flattait les fantasmes libéraux des idéologues et des politiques en même temps qu’elle permettait de différer la tâche ardue de construire un véritable pouvoir politique européen. Ce qui fait qu’Alan Greenspan n’est pas Wim Duisenberg ou son successeur, Jean-Claude Trichet, tient au fait qu’il travaille la main dans la main avec le gouvernement des États-Unis, que ses décisions sont puissamment épaulées par une capacité d’initiative et de réaction politique rapide qui est celle de la Maison Blanche, et que les mesures monétaires avec lesquelles il cherche à créer la confiance nécessaire au bon fonctionnement de l’économie s’appuient sur un ensemble des dispositions économiques, politiques et militaires volontaires, voire volontaristes qui constituent l’accompagnement politique indispensable et la condition du succès des mesures monétaires. L’acceptation d’un profond déficit du budget fédéral, qui contrevient aux dogmes de la religion libérale officielle de la Réserve Fédérale, ne s’explique que par un véritable consensus entre cette institution et le gouvernement fédéral. En dépit des théories fondamentalistes de Milton Friedman et d’Alan Greenspan sur « l’État minimum » qui n’autorisent d’autre d’action économique que le jeu sur les taux d’intérêt mené par une institution indépendante, ce consensus repose sur la reconnaissance du rôle central du gouvernement. Même si ce fait est masqué par le rideau de fumée libéral de la prétendue « indépendance de la banque centrale » et du « rôle neutre de la monnaie » derrière lesquels les gouvernements européens se réfugient pour justifier leur difficulté à doter l’Union européenne d’un véritable gouvernement. Un gouvernement qui doit être bien plus qu’un « gouvernement économique » faisant contrepoids à la Banque Centrale Européenne, sous peine de voir les attaques économiques, industrielles et politiques des États-Unis ruiner les acquis actuels de la construction européenne. Encore une fois, l’acte éminemment politique, la fermeté de direction et de perspective constituent un élément décisif de la bonne marche de l’économie de crédit.

Le système monétaire et financier n’a jusqu’ici été considéré, dans ce développement, que dans le cadre d’une économie nationale fermée. Or la globalisation financière de ces vingt dernières années a eu pour effet de mondialiser le système financier, de décloisonner les différents pays et les différents marchés, et de rendre l’économie mondiale plus sensible aux sautes d’humeurs et aux crises venues de n’importe quelle région du monde : crise mexicaine en 1995, crise asiatique en 1997, dégonflement de la bulle de la nouvelle économie en 2000. Ce décloisonnement la rend donc beaucoup plus vulnérable. Ces crises, qui sont un des effets des déséquilibres provoqués par la mondialisation libérale, élargissent à leur tour le fossé entre pays riches et pays pauvres au point de susciter des craintes pour le système financier lui-même. Il n’est pas indifférent à ce propos de pouvoir lire sous la plume de Henry Kissinger, peu soupçonnable d’excès de compassion pour les pays pauvres : « Ces bouleversements sociaux – réitérés avec des conséquences analogues en Russie, au Brésil, en Argentine, en Équateur et à travers l’Afrique – ont coïncidé avec une époque de croissance et de création de richesses sans précédent aux États-Unis et, dans une moindre mesure, en Europe. Au terme de plusieurs décennies d’efforts pour combler l’abîme entre les économies émergentes et industrialisées, les crises financières des années 1990 ont marqué un recul considérable. Combien de vicissitudes de ce genre le système international peut-il supporter sans produire une débâcle politique et sociale ? Qu’adviendrait-il si la récession aux États-Unis venait aggraver les choses ? »[18]. Pour se prémunir contre les risques engendrés par de telles crises, les différents acteurs économiques se sont lancés dans un développement en spirale des produits dérivés et dans une spéculation échevelée qui ont fait bondir les échanges de devises journaliers à plus de 2000 milliards $, soit le produit annuel d’un pays de la taille de l’Allemagne. Cela revient à décloisonner un supertanker de 500.000 tonneaux et à s’étonner ensuite que le moindre coup de tangage ou de roulis ne risque de le faire verser…

La globalisation financière a par conséquent accentué dans de graves proportions ce que les experts appellent la « fragilité systémique ». George Soros, grand spéculateur devant l’Éternel et bien placé pour savoir que cette fragilisation du système financier est proprement redoutable, s’en est récemment ému dans un livre fameux[19]. On ne peut combattre cette fragilisation que par une régulation mondiale accrue. À tel point que certains économistes, et pas seulement des altermondialistes, ont exhumé la fameuse taxe de 0,25 % sur les transactions internationales que James Tobin, jadis conseiller de John F. Kennedy et prix Nobel d’économie, avait formulée en 1978 dans l’espoir de limiter la spéculation à la veille de la grande vague de spéculation des deux dernières décennies. Or toute régulation internationale échoit tout naturellement, dans un premier temps, aux organisations existantes. C’est en partie ce qui advint : les souscriptions et donc les pouvoirs financiers du FMI et de la Banque mondiale furent à plusieurs reprises augmentés. Quant au G7, devenu G8 par affectation d’un strapontin à la Russie à titre de débiteur majeur, il bénéficie d’un rôle renforcé. Mais ce phénomène cache mal un autre phénomène, celui des pouvoirs accrus de Washington dans ce dispositif.

C’est ainsi que, de façon tout à fait naturelle, en résultat purement mécanique d’un besoin de régulation mondiale, la Réserve fédérale a vu son rôle considérablement gonflé en comparaison de celui qui serait normalement dévolu à la banque centrale des États-Unis. Un seul exemple : en 1995, une caution du Trésor de 40 milliards $ fut accordée à l’État mexicain de peur qu’une banqueroute de ce voisin n’entraînât de trop grosses difficultés à ses créanciers étasuniens et ne provoquât une crise financière aux États-Unis mêmes. On peut trouver à une telle évolution des raisons techniques, pourrait-on dire. « Le système capitaliste international » ne pourrait vraisemblablement pas survivre, note l’économiste Robert Gilpin, sans une « direction forte et avisée »[20]. Si les financiers institutionnels et les particuliers d’Asie orientale, notamment du Japon et de Chine qui détiennent à eux seuls plus de 40% de la dette publique étasunienne[21], et d’Europe, notamment les Allemands, les Suisses, les Français, les Néerlandais et les Belges ou les Scandinaves, etc., placent leurs fonds aux États-Unis, c’est parce qu’ils ont confiance dans la capacité économique de ce pays et surtout parce que c’est surtout à New York et non à Tokyo ou à Francfort qu’est sis le gouvernement qui tient les commandes des institutions internationales et de l’économie mondiale. Ajoutons que, parmi les autres grands financiers, il faut non seulement compter l’européen et le japonais mais aussi, en perspective, le chinois : on sous-estime en effet la formidable croissance des économies de l’Asie orientale et les progrès accomplis, dans cet élan, par le système chinois qui repose sur les liens étroits entre les banques des principaux dragons exportateurs : la Chine populaire, Taïwan, Hong Kong et Singapour, dont l’excédent cumulé de la balance des paiements courants s’élève à plus de 200 milliards $ par an, ce qui libère d’autant les disponibilités financières en quête de puissance et d’influence. Il n’est pas dit que la Chine ne songe un jour à utiliser autrement qu’en réserves de change les dollars acquis par ses excédents commerciaux sur les États-Unis qui constituent à ce jour plus de 400 milliards $, dans lesquels plus de 250 milliards de bonds du Trésor étasuniens et qui constituent un moyen de pression potentiel redoutable sur l’Empire américain…

Pour reprendre la métaphore de la toupie, on peut imaginer qu’il soit bien plus sûr de laisser actionner l’instrument par un seul joueur, quitte à lui passer quelques manies, plutôt que de chercher à tirer ensemble la ficelle, ce qui supposerait une entente parfaite bien difficile à réaliser : tout raté de la coopération pourrait avoir pour effet la chute de la toupie. Le monde entier est donc suspendu aux lèvres d’Alan Greenspan. Pas seulement parce que le dollar reste la monnaie la plus utilisée à l’échelle de la planète. Mais aussi et surtout parce que, même si les autres grands financiers du monde aimeraient bien imprimer au cours des choses la marque que légitimerait leur poids financier, ils laissent faire Washington en soutenant sa direction financière et monétaire. « Au fond, personne n’a vraiment envie de brider le moteur américain. Au risque d’une correction brutale du dollar qui déstabiliserait toute l’économie mondiale », peut-on lire dans une étude sur le « privilège du dollar »[22]. Washington dirige pour ainsi dire par défaut, du fait qu’il n’y a personne d’autre pour remplir cette tâche ou, si l’on veut, par peur du vide. Centre du pouvoir politique mondial, Washington est donc aussi tout naturellement le centre de l’économie de crédit.

Cette direction planétaire exclusive présente pour l’Empire américain des bénéfices incomparables. Le crédit va au pouvoir politique qui l’assure, et le dope. Plus encore que la vigueur de la reprise des années 1990, c’est bien la détention du pouvoir politique, clé ultime du crédit, qui a suscité ce puissant effet d’attraction des capitaux internationaux, et qui a fait du dollar malgré les déficits commerciaux vertigineux, malgré un système bancaire fragilisé et malgré une gestion des finances de plus en plus contestée, une monnaie forte et la monnaie de référence : sa part dans les réserves officielles en devises est ainsi passé de 56,4 % en 1993 à 66,2 % en 1999, retrouvant ainsi le niveau du milieu des années 80[23].

Les tributaires renâclent

Pour Paul O’Neill, secrétaire au Trésor depuis janvier 1991, les déficits ne posent aucun problème, puisque l’épargne est désormais mondiale. Selon lui, « un pays est une fiction… les frontières ont disparu »[24]. Certes, elles ont disparu pour l’Empire tant qu’il reste aux commandes du système financier international. Elles fonctionnent en réalité à sens unique, s’abaissant à volonté pour laisser passer les flux favorables et se dressant contre les courants non voulus. Pour ceux qui paient leur tribut à l’Empire américain, les problèmes s’accumulent et ils le disent de plus en plus haut. Ils s’inquiètent en particulier de la conduite de plus en plus dangereuse des institutions financières internationales. Si l’on revient encore à notre toupie, celui qui tire la ficelle en vertu de la confiance qui lui fut donnée jadis, a cessé d’être le plus habile et le plus efficace. Il ne mérite plus désormais cette confiance, mais mène le jeu uniquement parce qu’il est le plus fort, qu’il parvient à écarter ses concurrents et fait pour cela courir à l’équilibre du merveilleux petit cône les risques les plus grands.

On se plaint aujourd’hui ouvertement de la fragilité du système bancaire des États-Unis dans laquelle les institutions financières ont pris l’habitude de sous-provisionner les créances douteuses, qu’il s’agisse des créances sur les pays du Tiers Monde peu solvables ou celles sur les ménages étasuniens dont l’endettement atteignait déjà les records avant même que le dégonflement de la bulle financière ne l’aggravât encore à cause de la pratique des achats de titres boursiers à crédit… On craint les risques que fait courir pour l’économie mondiale le « financement pernicieux de l’économie » des États-Unis[25]. On se prend à craindre que, « si les investisseurs étrangers se mettaient à soupçonner l’inaptitude des États-Unis à emprunter suffisamment pour financer [leur] dette, il pourrait en résulter une panique financière qui pourrait conduire à une hausse des taux d’intérêt, un effondrement du dollar et une profonde récession »[26].

La planète se trouve aujourd’hui dans la situation où le principal risque pour le système monétaire et financier lui-même vient de la fragilité financière du pays qui tire d’énormes privilèges de la direction qu’il lui imprime de surcroît de façon extrêmement périlleuse[27]. Cela fait décidément beaucoup… On ne sera donc pas étonné du diagnostic de Samir Amin, dont la critique de l’impérialisme américain, du développement inégal au profit des pays du centre au détriment de la périphérie est connue : « La société américaine, dont la survie – dans les formes qu’elle s’est données et qu’elle voudrait perpétuer à tout prix – dépend de la contribution des autres au financement de son gaspillage, parle comme si elle était en position de commander le monde ! La conjoncture de l’économie mondiale est suspendue au maintien du gaspillage américain. Qu’une récession frappe les États Unis et voilà les exportations de l’Europe et de l’Asie – dont la nature est en partie celle d’un tribut unilatéral payé à la nouvelle Rome – en difficulté. Ayant choisi de fonder leur développement sur ces exportations absurdes en lieu et place du renforcement de leurs systèmes propres de production et de consommation (ce qui serait opter pour un développement autocentré), Européens et Asiatiques sont pris au piège, car un seul pays, les États-Unis, a le droit d’être souverain et de mettre en œuvre les principes d’un développement autocentré agressivement ouvert sur la conquête de l’extérieur. Tous les autres sont invités à rester dans le cadre d’un développement extraverti, c’est à dire à devenir des appendices des États Unis. […] Je ne pense pas que l’absurdité de la situation puisse être prolongée indéfiniment »[28].

Quousque tandem abutere, America, patienta nostra… ? pourrait-on s’écrier en parodiant Cicéron lorsqu’il entama devant le Sénat romain sa première Catilinaire. Jusqu’à quand l’Empire abusera-t-il de la patience du monde ? On ne sera pas étonné que, venant du parterre même des vassaux le plus zélés, se fassent entendre des voix hérétiques posant cette question. « Il y a, lit-on dans la presse de très fidèles partenaires des Etats-Unis, une limite à la bonne volonté des investisseurs à investir toujours davantage dans des avoirs en dollars »[29]. De son côté, Emmanuel Todd écrit : « Notre servitude volontaire ne peut se maintenir que si les États-Unis nous traitent de façon équitable, mieux, s’ils nous considèrent de plus en plus comme des membres de la société dominante, c’est le principe même de toute dynamique impériale »[30]. Mais le veulent-ils, et le peuvent-ils vraiment ?
[…]

[2ème partie]

 Émergence de l’État gangster

 On s’interroge souvent sur un caractère de la politique de Washington qui, à travers les styles propres aux administrations successives, est de plus en plus unilatérale, autoritaire et brutale. Cela vient du fait que devant l’affaiblissement relatif de leur puissance économique, les États-Unis sont devant un choix : ou bien partager le pouvoir dans le système financier, laisser s’exprimer de plus en plus les intérêts des autres, laisser une place plus grande aux finances européenne, japonaise et, de plus en plus, chinoise, ou bien se crisper sur la défense des intérêts exclusifs des États-Unis, lâcher la bonde à l’égoïsme et à l’unilatéralisme. C’est bien le second terme de l’alternative qui se vérifie.

Une démonstration en fut faite lors de la fameuse crise asiatique de 1997. Si l’on en croit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001 et qui sait d’autant mieux de quoi il parle qu’il a occupé un poste des responsabilité au FMI, « en leur qualité de seul membre du FMI disposant du droit de veto », les États-Unis exercèrent « une influence considérable » sur la politique menée à cette occasion[31], par la personne du secrétaire d’État au Trésor d’alors, Robert E. Rubin. Ce droit de veto de facto résulte d’une situation où 15% des voix peuvent bloquer toute décision alors que les États-Unis ont 17,16 % de ces voix. Signalons toutefois que si les Européens s’entendaient, ils pourraient eux aussi exercer le même pouvoir puisque les six membres fondateurs de l’Union atteignent à eux seuls plus de 18% des voix. Il faut aussi dire que, dans la crise asiatique, le secrétaire au Trésor put compter sur la complicité du directeur du Fonds, Michel Camdessus, pour appliquer des remèdes de cheval de sa fabrication. On refusa à l’État indonésien le droit que tout État se respectant, les États-Unis en premier lieu, se doit d’activer en pareille situation, celui de donner sa caution aux dettes bancaires. Une telle mesure fut dictée par l’esprit de vengeance de Washington au nom de la doctrine ultralibérale. Il s’agissait d’en finir une bonne fois pour toutes avec l’étroit partenariat entre l’État et des conglomérats privés qui avait pris naissance au Japon où il fut présenté dans les années 80 par Clyde Prestowitz comme un danger pour la prééminence technologique des États-Unis[32]. C’est aussi ce type de partenariat qui a permis le développement industriel des grands et petits dragons asiatiques ces vingt cinq dernières années. Désormais, les économies de la région devaient être grandes ouvertes aux capitaux privés étrangers. Les États-Unis pouvaient ainsi espérer récupérer les positions perdues, mais les pays d’Europe se faufilèrent dans la brèche ouverte : que l’on pense à la main mise de Renault sur Nissan ! On refusa donc la proposition faite par le Japon et la Chine de constituer un fonds asiatique dans lequel ils étaient prêts à mettre 120 milliards dollars, ce qui aurait permis de restructurer les économies en douceur. Ces deux refus eurent pour résultat de provoquer la faillite des principales banques indonésiennes et une récession économique sans précédent. Henry Kissinger qui, si l’on pense au Chili de 1973, ne s’est pas fait remarquer dans l’Histoire par une excessive compassion, s’est exprimé ainsi à ce sujet : « Ce qui a commencé il y a quinze mois comme une crise monétaire en Thaïlande et s’est répandu partout en Asie, menace désormais le monde industrialisé ». Selon lui « le FMI, la principale organisation internationale chargée de gérer les crises, ne fait qu’aggraver souvent l’instabilité politique »[33]. On peut relever qu’au Forum de Davos de l’année suivante, « le vice-ministre des Finances japonais, Eisuke Sakakibara, rappela avec un soupçon d’amère malice qu’il s’était senti bien seul lors d’une précédente rencontre dans la station grisonne pour affirmer que la tempête qu’affrontait l’Asie n’était pas une crise asiatique, mais une crise du système financier mondial »[34]. La même conduite fut encore menée par les autorités de Washington et le FMI lors de la crise argentine que tout le monde garde en mémoire, quand le refus de la solidarité internationale provoqua l’effondrement du pays.

Cette politique n’est pas seulement terrible pour les pays qui en sont victimes, elle est aussi grandement périlleuse pour l’économie mondiale dans son ensemble. Voici ce qu’écrivait récemment à ce sujet Isabelle Grunberg, qui fut économiste principale du PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement) : « Sur le plan macroéconomique, le FMI a abandonné toute prétention de neutralité ». Selon elle, « rien de surprenant à cela quand on entend le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, M. Jess Helms, en visite au Conseil de sécurité des Nations unies, en janvier 2000, sommer l’organisation d’“être un instrument de la politique étrangère des États-Unis, sinon…”. Il y a d’évidence un gros problème lorsqu’une organisation multilatérale promeut systématiquement les intérêts d’un seul pays au détriment de ceux du reste du monde »[35]. Et ce qui est vrai pour le FMI l’est également pour tout le système monétaire et financier international. Une autre tentation de l’administration de Washington est de retarder au maximum l’heure des comptes à rendre aux créanciers. On a pu la remarquer pendant la Guerre du Koweït au terme de laquelle le recyclage des pétrodollars dans la finance anglo-saxonne grâce à la vassalisation des monarchies du Golfe – il s’agissait de sommes énormes, plus de 400 milliards de dollars nets -, permit aux États-Unis, alors débiteurs nets de 300 milliards de dollars « de conserver la décision dans le système financier, au détriment de l’Allemagne et du Japon »[36]. Cela tient tout à fait du hold up : c’est avec un pistolet sur le guichet que les mauvais garçons de l’Ouest obtenaient de l’argent des banquiers… C’est avec des méthodes comparables que l’Empire a pu se faire payer les 75 milliards de dollars que coûta la Guerre du Koweït. La moitié de cette somme fut d’ailleurs versée par l’Arabie saoudite, ce qui provoqua chez elle un déficit historique qui ne manqua pas d’alimenter la contestation interne et le sentiment d’être le jouet des Etats-Unis. Cela n’est pas sans rapport avec l’anti-américanisme qui a embrasé l’Arabie saoudite et dont le phénomène Oussama Ben Laden est une des expressions…

Il sera toutefois bien plus difficile de pratiquer à l’avenir le hold-up dans le système financier chinois, lequel possède une véritable consistance interne et une solide conscience nationale, ou à plus forte raison avec les systèmes japonais ou européens, que dans le « système arabe » qui tenait déjà plutôt d’un club de tondeurs de coupons. Les États-Unis en sont aujourd’hui réduits à des expédients, par exemple à faire pression sur les pays des deux Amériques pour prendre le dollar comme monnaie. Des pays comme l’Équateur, le Salvador, le Panama ont obtempéré, et l’on a pu mesurer le succès de cette politique en Argentine ! D’autres comme le Canada manifestent quelque résistance : selon David Dodge, gouverneur de la banque centrale de ce pays, « l’adoption du dollar américain n’est pas pour demain »…[37] Une menace plus considérable a vraisemblablement été écartée par la liquidation de l’Iraq de Saddam Hussein qui avait osé demander en 2000 le règlement de ses ventes de pétrole en euros. Il n’est pas impensable qu’une telle prétention ait été perçue à Washington comme un crime de lèse-majesté impériale.

Un autre aspect de la question tient au rétrécissement de la gamme des atouts de la confiance que possède Washington pour conserver la haute main sur le système financier et monétaire sans laquelle les États-Unis cesseraient d’être la superpuissance que nous connaissons. Ayant fait le choix de refuser catégoriquement de partager la direction du système financier et monétaire, et ne possédant plus les moyens financiers de la confiance qui justifie cette direction, ils en sont réduits à faire preuve d’autorité politique, à faire périodiquement la démonstration publique qu’ils sont les chefs. Nous avons déjà vu que les crédits allaient au pouvoir politique et que l’économie des États-Unis bénéficiait d’une prime au pouvoir politique. Or ce pouvoir repose de plus en plus sur la mise en acte de la force. Les capitaux cherchent refuge auprès du centre de la puissance, auprès du pouvoir faisant preuve qu’il est bien le maître et en produit la démonstration régulière et ostensible. Là encore, se manifestent de plus en plus ouvertement des méthodes de mauvais garçons dont les westerns ou les films dédiés aux gangs de Chicago ou de New York fourmillent d’exemples : c’est ainsi que dans Les Incorruptibles de Brian de Palma, Al Capone, le gangster légendaire interprété par Robert De Niro, frappe à mort d’une batte de base-ball, devant tous ses affidés réunis dans un banquet, un de ses employés supposé avoir trahi… Les capitaux vont donc au plus fort. On pourrait appeler cela l’« effet batte de base-ball ». Une telle tendance se fait d’autant plus pressante dans la classe dirigeante étasunienne que les moyens de pression habituels sur les alliés et vassaux perdent de leur efficacité. Deux exemples sont de ce point de vue significatifs.

Le premier est celui du projet Galileo. Même si les Européens ne sont pas aujourd’hui prêts à consacrer les mêmes sommes que les États-Unis dans la recherche et le développement technologiques, ils n’en ont pas moins quelque aptitude à progresser en ces domaines. La France, l’Italie et l’Espagne ont ainsi lancé l’idée de doter l’Europe d’un outillage civil de géolocalisation satellitaire destiné à se rendre indépendant du GPS (Global Positioning System) étasunien et à le concurrencer. Ce projet a eu d’énormes difficultés à voir le jour tout d’abord à cause des difficultés normales de coopération entre États : c’est finalement le retournement de l’Allemagne, jusqu’alors réticente, comme celui du Royaume Uni, des Pays-Bas, de l’Autriche et duDanemark, qui lui a permis d’être adopté en 2002, avec un financement de plus d’un milliard d’euros et une exploitation commerciale à l’horizon 2008. Mais il fallut aussi faire face aux pressions et aux tentatives de court-circuitage de Washington. Paul Wolfowitz envoya ainsi aux quinze ministres de la Défense une lettre où il les invitait à combattre ce projet « dans l’intérêt de l’OTAN », non sans recourir aussi à une campagne de dénigrement systématique. La Commission de Bruxelles s’est d’ailleurs sentie obligée de répondre à l’argumentation insistante des États-Unis en relevant notamment que le GPS est encore une propriété de l’armée des États-Unis et qu’en conséquence Washington se réserve le droit de bloquer les signaux dans des zones où le système pourrait être utilisé par ses ennemis[38]. On notera avec intérêt que les divisions de l’Europe consécutives à la guerre d’Iraq n’ont pas empêché le projet de voir le jour et d’être financé, comme cela a été confirmé lors de la dernière réunion de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) en mai 2003[39]. De même, ces divisions n’ont pas empêché les Européens de se mettre d’accord pour investir 20 milliards d’euros dans la construction d’un avion de transport militaire, l’Airbus A-400 M[40].

Le second exemple illustre de façon éloquente le fait que les États-Unis d’aujourd’hui n’ont plus l’immense potentiel de conviction que leur donna jadis le plan Marshall. Il est donné par la conduite de la Turquie dans la guerre d’Iraq. Selon l’hebdomadaire turc Tempo, volontiers critique à l’égard du nouveau gouvernement, l’AKP « au sein duquel le lobby anti-américain est très fort, s’est laissé embobiner par la France et par l’Allemagne » ; en promettant eux aussi à Recep Tayyip Erdogan de lui prêter 6 milliards € sur dix ans, ces deux pays « espéraient qu’Ankara n’apporterait pas sa collaboration à l’effort de guerre américain »[41]. Les États-Unis avaient promis une enveloppe financière à la Turquie, plus de 30 milliards de dollars. Sur ce total, seule une petite partie devait être déboursée par les États-Unis. L’essentiel consistait en crédits du FMI et en lignes de crédits que cette institution devait autoriser le Club de Paris, c’est-à-dire le consortium des créanciers de la Turquie, à ouvrir. Or les banques qui prêtent à la Turquie sont avant tout européennes. Ainsi, grâce à leur pouvoir de contrôle sur les institutions financières internationales, les États-Unis cherchaient à influencer la Turquie grâce à l’argent des autres… Mais il arrive immanquablement un moment où germe dans la tête des rivaux ou alliés potentiels l’idée que leur intérêt est de prendre directement langue avec les pays débiteurs… Si l’épisode allégué par l’hebdomadaire turc Tempo est exact, il est en soi hautement significatif.

En voyant s’éroder leur puissance financière, les États-Unis perdent une arme puissante et sont conduits à utiliser davantage leurs moyens de pression politiques, tentés d’affirmer haut et fort que seuls comptent les « intérêts exclusifs des États-Unis », déjà à l’œuvre même sous l’administration précédente, pourtant réputée généralement plus à l’écoute de ses alliés. N’est-ce pas Madeleine Albright qui déclarait devant le Conseil de sécurité, alors qu’elle était ambassadrice de son pays à l’ONU, à propos du Moyen-Orient : « Nous agirons de façon multilatérale quand nous le pourrons, et unilatéralement quand nous le jugerons nécessaire » car « nous considérons cette région […] comme d’une importance vitale pour les intérêts nationaux des États-Unis »[42] ? Cependant, comme la terre est ronde et de plus en plus petite, et que l’Empire se révèle de plus en plus vorace et inquiet, il serait désormais difficile de trouver un petit coin de notre pauvre planète qui ne soit « d’une importance vitale pour les intérêts nationaux des États-Unis ».

Il va sans dire qu’une telle tendance conduit à une escalade de brutalité dans les rapports internationaux. Le lien entre déclin économique et besoin d’affirmation de la puissance politique et militaire pouvait déjà être remarqué en 1990. Il était possible de remarquer dès cette époque que la « cohérence du système » monétaire et financier, « menacée par la guerre économique […] et la montée en puissance financière » de ses rivaux, hier l’Allemagne et le Japon, aujourd’hui l’Europe, le Japon et en perspective, la Chine, « n’est maintenue que par la fermeté politique des États-Unis ». Il était déjà possible, à l’heure de la Guerre du Koweït, de « montrer qu’au fil des ans, la mise en acte de la puissance militaire américaine [en] est devenu l’ingrédient psychologique indispensable »[43].

Des frappes pour l’exemple, nous en avons vécu toute une série. Ce fut en 1983, sous l’administration Reagan, le cas de la Grenade, punie pour être soupçonnée de construire un aéroport trop grand pour elle et donc susceptible de recevoir des avions russes et pour donner le change à l’attentat qui avait tué 283 GI à Beyrouth, une pre-emptive action qui ne disait pas son nom… Vint ensuite l’exemple de la Libye, bombardée en 1986 pour des motifs très actuels : réagir à un attentat contre une discothèque berlinoise où avait été tué un fonctionnaire étasunien, et pour lancer le message aux « États voyous » avant la lettre qu’une simple suspicion peut mener à de terribles représailles. L’administration de George Bush père se fit la main en décembre 1989 avec l’invasion du Panama où, pour capturer un homme formé à leurs canons et nourri au sein de leurs officines mais tombé en disgrâce et désormais recherché par la Justice des États-Unis, l’aviation bombarda 27 cibles dans des zones urbaines fortement peuplées, faisant des milliers de morts civils et plus de 20.000 sans-abri, afin de montrer qu’aucune frontière ne protège désormais des foudres du shérif universel.

L’inconvénient d’une telle méthode, c’est qu’il faut toujours frapper plus sauvagement pour être crédible. Après le Panama, ce fut l’Iraq en 1991. Attaque à grande échelle cette fois : selon le Pentagone, 88.500 tonnes de bombes furent lancées en 1991 au cours de 106.000 sorties aériennes sur une période de 42 jours. Mais aussi quel succès ! Il est indéniable que, dans la foulée de l’effondrement de l’Union soviétique, l’opération Tempête du désert regonflait admirablement l’orgueil national en montrant la capacité des États-Unis d’asseoir de façon irréfutable leur prééminence internationale dans un monde devenu pluriel. On ne peut justifier par de strictes raisons militaires les bombardements massifs pendant la Guerre du Golfe de 1991 sur toutes les infrastructures civiles de l’Iraq, ni la mobilisation d’une armada de plus d’un million d’hommes par le rapport de forces militaires : l’idée de la « quatrième armée du monde » lancée en 1990 par une campagne de désinformation officielle visant à aggraver la menace représentée par l’Iraq a fait long feu. En mettant à terre un petit État incapable de tenir tête à une coalition militaire forte d’une écrasante supériorité, cette victoire sans risque eut pour effet indéniable de terroriser les petits pays, de resserrer les rangs des alliés, de permettre aux États-Unis de poser plus fermement la main sur les commandes du système financier et d’inaugurer, en dopant la confiance des agents économiques domestiques et des investisseurs internationaux dans l’Empire américain, une période de croissance sans précédent depuis la crise de 1975.

Il faut aussi évoquer une tentation à laquelle l’Empire succombe de plus en plus fréquemment, à s’émanciper de toutes règles internationales et à frapper là où il l’entend, quand il l’entend, sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ». On peut faire référence à la méthode qui consiste, comme aujourd’hui, à l’instar du protégé et ami israélien en Palestine, à l’assassinat programmé de personnes inscrites sur des listes d’hommes à abattre. Ce fut récemment le cas au Yémen où, le 3 novembre 2002, fut liquidé avec quatre autres personnes par un missile tiré d’un drone Predator armé par la CIA, Qaid Senyan al-Harthi, suspecté d’avoir organisé l’attentat contre l’USS Cole à Aden en 2000. Bref il n’est même pas nécessaire de rappeler ces faits pour affirmer que les États-Unis répondent eux-mêmes aux critères qu’ils utilisent pour stigmatiser les « États voyous »[44]. Il suffirait de considérer que l’Empire conserve son privilège par le recours de plus en plus fréquent à la démonstration brutale de la force, mieux : que c’est ainsi qu’il stimule l’économie mondiale et assure la base du tribut auquel il soumet le monde, pour affirmer que la planète entière est tombée sous la coupe d’un État gangster qui vit de racket et de hold-up et se dope à la terreur qu’il inspire.

Une telle attitude se love dans une longue tradition nationale d’usage de terreur délibérée (deliberate terror). Elle fut inaugurée lors de la Guerre de Sécession avec la glorieuse marche sur la mer du général William T. Sherman qui sema de façon ouverte et ostensible l’effroi parmi les populations civiles lors de sa fameuse « marche sur la mer » qui dévasta Atlanta en novembre 1864. Elle fut largement mise en pratique pendant la Seconde Guerre mondiale, d’abord par une participation réticente aux bombardements indiscriminés lancés par Arthur Harris et Winston Churchill sur Hambourg en juillet/août 1942 qui, avec les bombes explosives et incendiaires, firent 50.000 morts, puis avec ceux, mieux assumés, de Dresde sous lesquels périrent en février 1945, 70.000 personnes. Ce furent surtout les bombes atomiques lancées les 6 et 8 août 1945 qui firent respectivement 80.000 et 40.000 morts sur Hiroshima et Nagasaki, après que Tokyo eut été, selon l’intention déclarée de l’état-major, « rayé de la carte » par les bombardements conventionnels qui avaient entraîné, au mois de mars précédent, la mort de 185.000 personnes[45]. Il semble en effet bien établi que les bombes nucléaires servirent comme armes de terreur pure et gratuite, sans justification stratégique sérieuse : comme l’a affirmé Winston Churchill lui-même, « ce serait une erreur de croire que le sort du Japon fut décidé par la bombe atomique. Sa défaite était certaine avant le largage de la première bombe »[46], point que l’historien britannique Basil Liddell Hart conforte d’ailleurs par le rappel de discussions au sein de l’état-major des États-Unis[47].

On retrouve enfin la « terreur délibérée » dans les bombardements ciblés ou en tapis qui frappèrent les populations civiles lors de la guerre du Vietnam. Une des raisons de cette conduite est l’effet de terreur sur les populations susceptibles de contester les gouvernements vassaux… Un message puissant non seulement aux peuples du Sud, d’Amérique latine, d’Afrique Noire, d’Asie du Sud-Est, du Subcontinent indien, en dehors même de ceux agités et bien trop rebelles de l’aire arabo-islamique, aussi un message non codé aux alliés comme aux rivaux potentiels. À bon entendeur… !

[…]

NOTES

[1] Général de Gaulle, Conférence de presse, 04/02/1965.

[2] La situation ne s’améliorera ni au cours ni au cours du second semestre 2003 ni au premier semestre 2004. Selon Joël Bourdin, « le retour de la croissance en 2003 s’est accompagné d’un nouveau creusement du déficit, ce qui conduit à s’interroger sur l’évolution à venir de la valeur du dollar. Dans son dernier panorama de l’économie mondiale, le CEPII souligne que le déficit courant américain avoisine le niveau (5% du PIB) que diverses observations historiques permettent de considérer comme « un seuil au-delà duquel s’opère une correction »  » (voir Rapport d’information 69 (2003-2004) de la Délégation du Sénat pour la planification, Paris). Les chiffres donnés par le Département d’État pour juin 2004 révèleront un déficit record de la balance commerciale de 55 milliards de dollars, bien au-delà es 47 milliards prévus (Dépêche Agefi, 13/08/2004).

[3] Statistical Abstract of the United States : 2000, Table 1401, et 2002, Table 1363.

[4] BEA News Realease, site BEA.

[5] « Le déficit budgétaire américain s’envole », Le Monde, 17/07/1983.

6] Il faut encore revoir à la hausse les prévisions de déficit de 2004. On pourra en effet lire dans une dépêche AFP du 02/02/204 : « La Maison Blanche présentera lundi un budget révélant un creusement record, à plus de 500 milliards de dollars, du déficit en 2004, qui risque de déchaîner les critiques envers Georges W. Bush en cette année électorale.

[7] François Chesnais, La mondialisation du capital, Paris : Syros, 1997.

[8] Roland Laffitte, « À l’heure de la Pax americana », op. cit.

[9] Robert E. Scott, « U.S.’s growing trade deficit fuels ballooning net foreign debt », 26/09/02, site de l’Economic Policy Institute.

[10] Jeff Faux, « Falling Dollar, Rising Debt », 18/07/02, site d’American Prospect.

[11] Voir le rapport intitulé The U.S. Trade Deficit : Causes, Consequences and Recommendations for Action, U. S. Trade Deficit Review Commission, novembre 2000.

[12]  Ces prévisions risquent même d’être dépassés si le rythme actuel d’accroissement du déficit de la balance des paiements crît au-delà des 500 milliards de dollars annuels atteints en 2004.

[13] François Chesnais, op. cit.

[14] Frédéric F. Clairmont, « Menaces sur l’économie mondiale », Le Monde diplomatique, mai 2001.

[15] Alain Lambert, « Banques : votre santé nous intéresse », Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, Rapport n° 52, 1996-1997.

[16] Bruce Bartlett, « A Rising Trade Deficit Lifts U.S. Foreign Debt », sur le site du National Center for Policy Analysis, le 17/08/1998.

[17] Christian Chavagneux, « Trente ans de finance mondiale », Alternatives économiques, hors-série n° 50, 4ème trimestre 2001.

[18] Henry Kissinger, op. cit.

[19] George Soros, The Crisis of Global Capitalism : Open Society Endangered, New York : Public Affairs, 1998.

[20] Robert Gilpin, The Challenge of Global Capitalism : The World Economy in the 21st Century, Princeton : Princeton University press, 2000.

[21] Michael R. Preiss, « Snow in Beijing and what it means for Gold », KWR International Advisor, sept. 2003, vol. 5, ed. 4.

[22] Sandra Moatti, « Le privilège du dollar », Alternatives économiques, n° 208, novembre 2002.

[23] Christian Chavagneux, op. cit.

[24] Entretien avec Paul O’Neill, Les Échos du 11/04/2002.

[25] Joël Bourdin, « Perspectives macroéconomiques à moyen terme (1999-2004) », Rapport d’information n° 71, 1999-2000, Délégation du Sénat pour la planification.

[26] Robert E. Scott, op. cit.

[27] Voir aussi plus bas, pages 115-117.

[28] Samir Amin, « Le capitalisme sénile », La Revista del Manifesto du 31/09/2002.

[29] « The O’Neill doctrine – America’s huge external deficit is an accident waiting to happen »The Economist, 25/04/2002.

[30] Emmanuel Todd, op. cit.

[31] Joseph Stiglitz, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002.

[32] Voir Clyde Prestowitz, op. cit.

[33] Cité par La Tribune du 06/10/98.

[34] Cité par L’Hebdo du 04/02/199.

[35] Isabelle Grunberg, « Que faire du Fonds monétaire international ? », Le monde diplomatique, septembre 2000.

[36] Roland Laffitte, « À l’heure de la Pax americana », op. cit.

[37] Cité par La Presse, 06/10/2002.

[38] Christophe Guillemin, « Comment la diplomatie américaine s’emploie à court-circuiter Galileo », ZDNet France, 13/03/2002.

[39] Laurent Zecchini, « Les Européens trouvent un accord pour débloquer le projet Galileo », Le Monde, 28/05/2003.

[40] Laurent Zecchini, « Les Quinze investissent 20 milliards de dollars dans l’Europe de la défense », Le Monde, 28/05/2003.

[41] Cité dans « La guerre en Irak vue par la presse turque », Le Monde du 28/03/03.

[42] Cité par Noam Chomsky dans l’« Amérique, “État-voyou” », Le monde diplomatique, août 2000.

[43] Roland Laffitte, « Vers quel monde nouveau ? », op. cit.

[44] Noam Chomski, « l’Amérique, “État-voyou” », Le Monde diplomatique, août 2000. Voir aussi, du même auteur, 11 septembre. Autoposie des terrorismes, Paris : Le Serpent à plumes, 2001.

[45] Ce chiffre, peu connu, est donné par Basil Liddell Hart, op. cit.

[46] Winston Churchill, The Second World War, 6 vol., Londres : Cassell, 1949-1953.

[47] Basil Liddell Hart, op. cit.